Ida Ekblad — Galerie Max Hetzler
Pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie Max Hetzler, Ida Ekblad prolonge l’exploration du monde brut qui l’entoure, indissociable de sa démarche, tout en ouvrant une large place à la couleur.
« Ida Ekblad — Step Motherfucker », Galerie Max Hetzler du 2 septembre au 5 octobre 2017. En savoir plus Usant de tout matériau glâné au fil de véritables expéditions qui constituent une étape essentielle de sa recherche, Ida Ekblad, artiste norvégienne née en 1980, pratique un art résolument urbain qui en emprunte les codes et les contradictions. Du lettrage du tag aux mariages contre-nature de formes et de matière, sa démarche qui transpose un situationnisme littéral dit aussi le poids d’une vie dans le cadre de la ville d’objets industriels dont les usages, autant que l’abandon, dessinent des stigmates qui sont finalement autant de traces familières aux yeux de tous leurs contemporains.C’est ce code, cette compréhension du déchet et du rejet que vient court-circuiter Ida Ekblad en créant des brèches dans le mur comme autant d’ornements à ses formes peintes, elles aussi empruntées, récupérées et marquées par le temps… Mais aussi par l’époque, avec son appropriation des codes du hip-hop, né de la transformation, par l’intervention spontanée, de l’espace urbain et générateur d’une langue directe qui témoigne de sa propre condition comme de ses désirs. Références qui se voient à leur tour confrontées à l’imaginaire d’une artiste de formation qui citera aussi bien Odilon Redon que Gena Rowlands dans son panthéon de figures tutélaires.
Constamment en recherche de matériaux à réinventer, elle multiplie les expériences en additionnant les styles, les motifs et les couleurs dans le seul but de faire naître une forme visuelle d’impensé, sans souci de style ou de courant, sinon celui d’une confrontation de l’objet construit, pensé et utilisable à son renvoi à un nouvel état sauvage. C’est ainsi que de nombreuses influences s’emmêlent dans ses créations, de Miro au mouvement Cobra (mais on peut y percevoir Viallat par exemple ou même du Modigliani), du folk-art à Guy Debord qui dessinent un manège étourdissant où les cadres, instables, se voient parfois dépassés, où les lignes ne sont déterminées que par la fin de l’amoncellement de la matière.
De cette union de l’observation, de l’accaparement et de la reconstruction est né un œuvre qui se prolonge dans la réalisation de films, la performance mais surtout la poésie, perceptible dans la teneur symbolique des titres données à ses œuvres. Récupérant des morceaux épars de micro-histoires anonymes, elle recompose à sa manière des systèmes de sens unis par la dimension spatio-temporelle qui a présidé à leur collecte puis à leur re-création. Ici encore, comme dans chacun de ses projets, c’est une véritable histoire qui se joue. Pour autant, ses toiles moins chargées de corps étrangers, laissent voir un glissement vers une attention toute particulière à la couleur, au bonheur de la peinture. Ida Ekblad donne vie à deux sculptures déjantées et expressives qui, de leur construction aléatoire et forcément constituées de matériaux usés, délavés, tranchent avec les couleurs vives et explosives de ses toiles. Des combinaisons, voire des combines pour évoquer Rauschenberg, où une figure humaine, un pingouin et un « super-chat » inspiré des codes du dessin populaire japonais (voire des accessoires de décoration d’objets technologiques à bas-coût qui inondent les marchés) côtoient des séries de répétitions qui mêlent une esthétique de l’accident, de la maladresse à la pesanteur de l’audace assumée.
Pleine d’ironie avec son titre aussi délicieux de décalage qu’invraisemblablement vulgaire, l’exposition Step Motherfucker fait aussi la part belle au plaisir de la matière, comme un écho au poème qui accompagne l’exposition. Il y est question de désir, d’admiration sensuelle face à une figure féminine, un mélange de tentation et de complainte empreint de frustration, où les mots, les images nées d’expressions crues viennent renforcer l’ambivalence d’une scénographie qui marie les contraires. La noble peinture vient côtoyer le métal de casseroles abandonnées, les couleurs couvrent le sol en un tapis de peinture, la toile cirée repose sur la toile peinte, les figures animales, dessinées ou seulement esquissées semblent peupler cet éloge de matières industrielles pour confondre les règnes et former des îlots de sens émancipés de toute convention monarque.
Cette énergie folle, cet art du minimal et du contre-pied irradient ainsi de leur spontanéité cohérente le cadre policé de la galerie Max Hetzler, faisant de Step Motherfucker une ode à la rencontre de l’incongru, un monument de force qui unit les contraires pour inventer les enjeux d’un nouvel âge sauvage qui se lit au fil du voyage des formes auxquelles Ida Ekblad parvient à rendre vie.