Jan Fabre — Galerie Daniel Templon
Exposées jusqu’au 11 avril à la galerie Templon, les deux séries « Hommage au Congo belge » et « Hommage à Jérôme Bosch au Congo » permettent de voir pour la première fois à Paris les « mosaïques » récentes de Jan Fabre. Un spectacle terrible et fascinant qui gronde avec rage contre le monstre colonialiste.
« Jan Fabre — Hommage à Jérôme Bosh au Congo / Hommage au Congo belge », Galerie Templon du 28 février au 11 avril 2015. En savoir plus D’emblée, ce qui frappe ici c’est la terrible beauté des tableaux. Les motifs, dans leur simplicité, laissent éclater une force formidable qui transcende les sujets. Tout entier composés d’élytres de scarabées, matériau de prédilection de l’artiste, ces mosaïques offrent une prise fabuleuse à la lumière, qui s’y reflète, s’y diffracte et s’aliène, passant d’une couleur l’autre perpétuellement. Jan Fabre donne, en quelque sorte, une forme de vie intime à son entomologie. Mais plus encore, la précision et l’opulence esthétique qu’offre son matériau se porte à la mesure de la préciosité des fresques art nouveau.Nul matériau « noble » ici mais une présentation, qui reprend avec toute la sobriété qu’elle mérite le projet Hommage à Jérôme Bosch présenté l’an dernier au Palais des Beaux-Arts de Lille, rappelle sa valeur indiscutable sur la scène internationale. Car Jan Fabre retrouve ici ce qu’il sait faire de mieux, la modification plastique de la matière et des idées. À travers des tableaux monumentaux reprenant portraits, scènes de genre ou imitation de documents d’époques, il déploie une formidable alliance formelle entre trois pans de l’histoire ; l’histoire des hommes avec la colonisation belge, l’histoire de l’art à travers l’hommage à Jérôme Bosch et l’histoire animale avec son utilisation exclusive d’élytres. Cet étrange mariage de foisonnement et de simplicité n’est pas sans contenir en son sein la charge critique essentielle de cet « hommage » à un Congo d’une richesse infini effacé par la puissance coloniale d’un royaume en quête d’uniformité. À travers sa propagande, l’imagerie née de ces années d’exploitation peignait une Afrique dont l’humanité se réduisait à la seule force de travail. Une parodie de regard qui trouve un terrible écho dans ces compositions dont la simplicité des « traits » dramatise le réel, en témoignent ces scènes de violence en référence directe au Jardin des Délices (épées traversant des membres détachés d’épées, dés de jeux placés sur la tête) de Jérôme Bosch.
En convoquant l’imaginaire foisonnant et tortueux du peintre néerlandais, Jan Fabre finit d’en exploiter la terreur pour faire vibrer, sous les cadres, cette nécessité de rendre à la vue une plaie vivace de l’histoire. La sobriété éclatante à l’œuvre dans ces deux séries s’immisce dans les méandres de l’horreur et en dresse un cruel portrait, celui d’un Occident barbare et triomphant, dont l’opulence accorde aux lois du marché le mépris arrogant des lois humaines.