Joseph Beuys — Musée d’Art Moderne de Paris
Organisée concomitamment au centenaire de la naissance de l’artiste, l’exposition Joseph Beuys, Ligne à ligne, feuille à feuille, aborde l’œuvre du maître à travers un angle aussi inattendu qu’essentiel, le dessin.
« Joseph Beuys — Ligne à ligne, feuille à feuille », Musée d’Art Moderne de la ville de Paris du 10 décembre 2021 au 27 mars 2022. En savoir plus Pilier de son rapport au monde, l’apposition de la ligne sur l’espace libre du papier constitue chez Beuys (1921-1986) une pratique quotidienne qui, selon le propos de l’exposition, constitue le centre de gravité de son œuvre et le prisme de son regard fondamentalement animé par un rapport d’attention à la nature. La feuille, dans toutes ses déclinaisons lexicales, devient ainsi le lien entre pratique intime, réflexion en cours, perspective théorique sur le monde et matière à y exposer, à s’y exprimer. Riche d’une somme comprise entre 10000 et 20000, le corpus de ses dessins fait, depuis les débuts de l’artiste, l’objet d’une attention particulière, conservés et compilés par l’intéressé pour qui « dessiner ce n’est rien d’autre que faire un plan ».Une dimension constructive et projective qui se découvre au fil d’un accrochage pour le moins sobre qui montre l’usage de la feuille comme d’un possible espace à réinventer, plastiquement et psychiquement. L’écriture, essentielle, apparaît certes comme une prolongation du trait mais également comme complément au motif, participant d’une construction concentrant les modes de perception finie. Inventant et créant chaque fois nouvelle un rapport à la représentation, au désir de rendre un autre sens, le dessin dévoile également l’attention constante de Beuys à un lien direct avec la nature, au caractère primaire et primordial du dessin, à l’image de la composition reprise par l’affiche même de l’exposition. La présence d’une feuille végétale recouverte de charbon lui-même travaillé par un « pinceau » de branchage rappelle la vocation initiale de Beuys qui souhaitait devenir naturaliste et fait osciller cet ensemble entre dessin et pratique de recollement du monde comme de ses souvenirs, au-delà de principes techniques et esthétiques.
Revendiquées par l’exposition, la fragilité et la modestie de l’ensemble ne manquent pourtant pas de tisser des ramifications pertinentes pour l’appréhension d’un œuvre majeur qui anticipe de nombreuses problématiques de l’époque qui lui succède. Loin de se réduire à une forme simple, son imaginaire, si souvent redouté pour sa complexité, embrasse en réalité une simplicité et une réduction fondamentale qui ne cessent de prouver son ouverture. Un contrepoint passionnant qui se heurte malheureusement à l’écueil d’une mise en scène trop rêche.
Manifestement réalisé dans la précipitation et malgré l’érudition de sa commissaire, passionnante autour de l’œuvre du maître, le parcours manque de révéler les liens pourtant sous-entendus et bien compris de la pratique intensive du dessin dans l’œuvre de Beuys. Une exposition largement plus ambitieuse aurait mis à profit cette manne de dessins et inscrit son œuvre dans enchevêtrement plus complexe d’écrits, de dessins et d’installations dans l’espace qui se devinent ici plus qu’ils ne se déduisent et ne se découvrent. Une position radicale du commissariat, n’intégrant que très peu d’éléments extérieurs aux dessins malheureusement pas assez mis en avant, compliquant inutilement l’accès à cet œuvre.
Reste cependant un parcours rempli de trésors de formes et d’inventions, exigeant certes mais riche de dessins comme autant d’indices et de preuves de la mise en place d’un esprit par la ligne, d’une construction et d’une maîtrise de l’espace par ses perspectives, ces indices qui transpercent le réel et se décalquent, minimaux, sur la feuille.