Karel Appel — Galerie Lelong & Co.
La galerie Lelong & Co. présente une série de peintures de Karel Appel, montrées pour la première fois en tant qu’entité et réalisées en 1990, période marquée par une concentration de la vie new-yorkaise dont il cherchait à s’affranchir.
« Karel Appel — Eternal Space of Being », Galerie Lelong & Co du 18 novembre 2021 au 8 janvier 2022. En savoir plus Si une présentation du peintre constitue toujours un évènement à Paris, lieu de résidence durant plusieurs années mais surtout point de départ formel du mouvement CoBrA tirant son nom des villes d’origine (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) d’exilés réunis en un lieu étranger, elle est chaque fois l’occasion de faire le point sur la liberté formelle et l’invention radicale qui a émaillé un rapport à la peinture singulier, où expérimentation et inventions plastiques ont dessiné la ligne de cohérence d’un œuvre riche aux paradoxes constitutifs. De la profondeur intellectuelle synthétisée dans la fragilité enfantine du trait, de la recherche infinie des nuances nouvelles d’une peinture appliquée par contrastes, les contradictions sont autant de points d’étape dans une peinture qui se mesure par intensité et expressivité comme seuls biais.Une double tonalité qui résonne avec l’immédiate noirceur des toiles en question pour cet artiste qui a toujours reconnu que le contexte conditionnant sa peinture. Et, en articulant explicitement les dimensions temporelle et spatiale (la série a pour titre Eternal Space of Being), Karel Appel insiste sur cette localisation précise du moment d’éclatement de tous les moments. Vertige philosophique d’une éternité naissante à la faveur d’une rencontre des couleurs venant annuler la monochromie, l’espace indifférencié d’un noir qui sert ici de fond à ses variations.
Homme, femme, silhouette ambiguë, les différentes formes qui peuplent ces vortex de vie primordiale ne s’encombrent pas de symbolique catégorielle, c’est bien plus le mouvement, l’élan de la ligne et leur manière de briser les plages de couleur qui comptent dans ces compositions marquées par une sobriété qui tranche avec les outrances carnavalesques caractéristiques de la peinture d’Appel. L’énergie est là, plus condensée et rayonnante, prisonnière expressive d’un fond qui l’enserre pour mieux la libérer.
Le noir au cœur de la série devient protagoniste d’allégories ouvertes et dépasse le simple espace monochrome pour démultiplier la valeur des contrastes. Le noir devient contexte créateur ; ne parle-t-on pas de mythe de la caverne pour évoquer l’obscurité dans laquelle étaient plongés les hommes ? De manière analogique, ce même noir devient ici acteur et générateur de sa propre histoire.
En ce sens, et c’est tout l’apport de cette empreinte philosophique qui, même si non-explicite, marque cette très belle présentation ; la tendance « primitiviste » d’Appel s’échappe et s’émancipe pour rejoindre la tentation d’illustrer la possibilité d’un sujet primordial et, c’en est une démonstration convaincante, fondamentalement lié à la couleur.