Sandra Rocha, CPIF, Pontault-Combault
Sandra Rocha présente au CPIF de Pontault-Combault une exposition à l’esthétique soignée qui fuit le réel pour se réfugier dans un univers alternatif où les repères sont brouillés, où la temporalité s’est métamorphosée en flux continu semblant maintenir une quiétude intrigante.
« Sandra Rocha — Le Moindre Souffle », CPIF — Centre photographique d’Ile-de-France du 10 octobre au 19 décembre 2021. En savoir plus Un bruissement constant d’insectes et d’oiseaux envahit l’atmosphère tandis qu’une basse modulée rythme les volutes de fumée que l’on perçoit dans la première vidéo. En plan rapproché sur des pierres immobiles, la focale ignore ce foisonnement dont les hurlements se font plus pressants. Une manière d’annoncer immédiatement notre incapacité essentielle à saisir la complexité de ce qui nous entoure ? Une frustration d’autant plus intense que ces bruits et chants se modulent par moments en fréquence presque humaines, entre fantaisie enfantine et appels à l’aide de nourrissons.Au sein de paysages fascinants dont la profondeur de la nature illustre la tendance de chacun à se précipiter vers une interprétation mythologique de la question existentielle, Sandra Rocha se dirige vers un réalisme fantastique où Ovide et, à travers lui, la littérature, deviennent les symboles d’une manière de composer avec ce foisonnement sidérant qui nous entoure et nous donne vie.
Un tropisme pour une nature humanisée ou plus vraisemblablement pour une humanité profondément ancrée dans un décor qu’a habité l’artiste au Portugal qui convoque les mythes des Métamorphoses d’Ovide pour nous plonger intensément et viscéralement dans le monde. Car si les corps que l’on croise dans les paysages sauvages de son terrain de jeu renvoient à l’éternelle jeunesse des éphèbes, ils nous disent également beaucoup de notre propre finitude. La rencontre s’organise en effet entre souvenirs, fantasmes enfantins de la photographe et renvoi à un temps immémorial qui n’en perd pas moins une nécessaire progression.
Le filtre de l’imaginaire se fait ainsi biais pour suivre, en liberté et le regard ouvert, les envies des corps, les mouvements affectifs et les volontés intimes. Sans être uniquement contemplatives, les images de Sandra Rocha jonglent avec la naïveté d’une mise en valeur de la beauté organique et la conscience aiguë d’en être soi-même un rouage existentiel. De la même manière que Narcisse se perçoit jusque dans sa trouble réalité à la surface de l’eau, la nature constitue ici un canevas dans lequel puiser nos modèles d’échappatoires d’abord, mais plus encore y déceler notre vérité qui, comme elle, se défait de tout jugement ou de toute réduction catégorielle.
La volonté de pouvoir s’affirmer en quelque sorte, d’être « vu » et de se montrer aux yeux de tous sans s’attirer les foudres de perceptions biaisées, le recours à la nature permet de comprendre l’importance de cette infinité de frictions, de mouvements désolidarisés, libres et d’individus persistant dans leur être à la recherche de leur propre coordination.
Un décalage bienvenu qui doit ainsi ne pas nous faire oublier une certaine capacité à s’inventer et à se réinventer ; la nature elle-même est prise au piège de son exotisme avec la présence d’oiseaux manufacturés qui donnent un recul passionnant à cette plongée.