Khvay Samnang — Jeu de Paume
Prolongeant le cycle Satellite 81, l’exposition au Jeu de Paume de Khvay Samnang poursuit la découverte d’artistes asiatiques qui s’approprient le langage vidéo pour explorer les traces et transformations de leur histoire. À la suite de Vandy Rattana, Khvay Samnang questionne, avec une installation de trois vidéos tournées au cœur de la forêt cambodgienne, le devenir de la nature à et les conséquences de l’industrialisation de la région.
« Khvay Samnang — L’Homme-caoutchouc — Satellite 8 », Jeu de Paume, Concorde du 2 juin au 27 septembre 2015. En savoir plus Avec Untitled, 2011-2013, une série de vidéos remarquées à la biennale de Singapour 2013, Khvay Samnang (né à Svay Rieng, Cambodge, en 1982) avait fait le choix de se mettre en scène au milieu d’étendues d’eau, déversant sur son crâne un seau de sable. Réagissant alors à l’assèchement de lacs autour au mépris des habitations de sa région par des promoteurs immobiliers. Dénonçant à travers son geste les dangers de l’industrialisation et sa violence envers la nature comme envers l’homme, l’artiste réactive avec Rubber Man (L’Homme-caoutchouc) ce geste en s’attaquant cette fois à la culture intensive du latex dans les forêts cambodgiennes, vestige de la colonisation française. En effet, dès la fin du XIXe siècle, l’Indochine française importe les graines d’hévéa pour implanter sur les terres khmers des exploitations qui modifient en profondeur la nature du lieu, sa physionomie aussi bien que sa conception.Dans une multitude de décors, la vidéo principale de ce triptyque se met en scène face caméra, se renversant des litres de latex, apparaissant puis disparaissant dans un montage enlevé qui vient contrebalancer la charge symbolique de l’acte pour devenir processus de répétition aussi absurde que jouissif. Non sans humour donc, cette succession de déversements, leur bruissement humide et sourd confinent à l’ironie, multipliant à travers son rythme effréné la charge grinçante de son propos en perdant radicalement toute rationalité quant à la place de l’homme dans ces forêts.
Dans ses vidéos suivantes, sans un mot, Khvay Samnang déambule, intégralement nu, seulement recouvert de l’épaisse pâte blanche de latex à travers l’exploitation, à la manière d’un esprit errant sans but, dans ce paysage bigarré où les troncs épais côtoient les jeunes pousses, où la végétation se voit parée de dispositifs d’extractions. Multipliant les plans, l’artiste insiste sur cette diversité que seule la lumière naturelle semble relier, une végétation incohérente résultat d’expérimentation et de nécessités industrielles.
Tout autant que l’histoire donc, Khvay Samnang interroge le présent ; par son corps non « employé », quasi-fictionnel dans ce paysage de culture intensive, il force à repenser la place de l’homme face à la nature. Faut-il en effet qu’il y réalise une action (artistique ou non) pour qu’il y soit « à sa place » ? La forêt semble en effet ici réduite à son employabilité, habitée par des machines, outils et êtres humains qui la travaillent. D’où la question qui hante en filigrane cette triple installation : quelle place est accordée aux esprits, quelle poétique peut subsister dans une nature qui n’est plus qu’un champ exploitable ?
1 Les expositions présentées dans le cadre de Satellite au Jeu de Paume, à l’image de celle de Khvay Samnang, sont gratuites.
Retrouvez toutes les critiques du cycle Satellite 8 sur Slash-Paris : Vandy Rattana & Arin Rungjang