Laure Albin Guillot, L’Enjeu classique au Jeu de Paume
Disparue dans un quasi oubli en 1962, la photographe Laure Albin Guillot fut pourtant reconnue et célébrée de son vivant. Entre grandeur et décadence, le Jeu de Paume retrace sa vie. Loin de proposer un parcours exclusivement biographique, voire didactique, l’exposition donne néanmoins la couleur, le sentiment d’une vie. Et l’impression en creux d’avoir connu, un peu, celle qui passa des fastes de la gloire à l’ingratitude de l’ombre.
« Laure Albin Guillot (1879–1962) — L’enjeu classique », Jeu de Paume, Concorde du 26 février au 12 mai 2013. En savoir plus Pendant l’entre-deux-guerres, sa période la plus féconde, elle bénéficiait en effet de quatre à cinq expositions annuelles, lorsqu’un André Kertesz n’en jouissait que d’une ou de deux tout au plus… Pas un quotidien national ignorait le nom de Laure Albin Guillot, il aurait même été absurde de la présenter ou de préciser sa fonction. De même que ses portraits de Cocteau ou Hubert de Givenchy dictaient un goût, ses clichés de mode et publicitaires s’arrachaient. Vogue publiait sans limite ses images de femmes et de baigneuses au charme désuet tandis que la Maison Jean Patou affectionnait son style bien français. Ses « micrographies » (minéraux et végétaux saisis au microscope) illustrées par la publication d’un ouvrage devenu célèbre, exportèrent son succès à l’international prouvant qu’elle excellait aussi bien dans la légèreté des sujets que dans la photographie scientifique.Puis, la guerre éclata et on lui fit payer son manque de modernité. La vague humaniste la dépassa ; Doisneau brillait par l’innovation en faisant des reportage en extérieur, là où Laure Albin Guillot continuait à pratiquer une photographie de studio. Restée ainsi en marge de toutes les avant-gardes, constructivisme, surréalisme, Nouvelle Objectivité, à trop regarder vers le passé et à cultiver une esthétique désuète, l’icône Guillot commença à s’écorner. Cette absence de goût pour la nouveauté qui la perdit se comprend aisément dans l’exposition, au regard de ses figures léchées, datées, surannées. Classiques. Trop classiques. D’où le sous-titre de l’exposition, « l’enjeu classique », seul prisme valable semble-t-il pour aborder la carrière de la photographe et sa fin très discrète. Le commissaire conclura d’ailleurs sur ces mots fragiles : « Après la guerre, Laure Albin Guillot n’est plus de son temps… Ses propositions esthétiques ne sont plus au goût du jour. A la fin de sa vie elle est seule, ses amis ont disparu, peu de gens viennent la voir. Elle qui vivait dans un hôtel particulier du XVIeme arrondissement, finit très modestement dans une chambre de 15 mètres carrés à Nogent, mal considérée par les pensionnaires, peintres, graveurs alors qu’elle n’est « qu’une photographe » ».
Le grand paradoxe de Laure Albin Guillot sera ainsi d’avoir choisi d’utiliser un médium moderne tout en continuant à regarder vers le passé. Un pas en avant, deux pas en arrière… Ou la modernité dévoyée et poursuivie par le fantôme du classicisme.