Antoine d’Agata à la galerie des Filles du calvaire
On a beaucoup dit de d’Agata qu’il se défonçait, se piquait. Comme si le fait que le photographe mette sa vie en scène et entre les mains du public autorisait une forme de familiarité. On sait en effet qu’il est le plus souvent sinon toujours le sujet, l’objet de ses images. Qu’il rend visite à des prostituées, qu’il se heurte à des tabous. Soit. Mais d’Agata est plus qu’un homme blessé qui sombre et dérape. Certes, il voit double et son réel se dérobe mais son travail est d’une précision toute clairvoyante. Ses bougés dont on parle tant, ses flous sont d’une netteté alarmante. D’Agata conçoit ses images comme des outils documentaires, et si les clichés tremblent, le propos lui est clair.
La maladie et la mort sont partout, alors il faut les envelopper avec un voile d’abstraction, leur donner une grâce supportable. Nimber, auréoler. On pense bien sûr à Bacon et à ses corps déformés, consommés par eux-mêmes. D’Agata gomme de cette façon la morphologie humaine pour arrondir les angles, les coudes, les genous khagneux.
Noia , la série exposée ici, dénude comme d’habitude les corps. Certains sont pulpeux, d’autres malingres. La chair est désirable autant qu’effrayante. Certains visages, alors même qu’ils sont photographiés vivants ont l’apparence d’une tête de mort sur laquelle on devine les cavités et orifices d’un crâne de squelette. Comment mieux faire s’embrasser vie et mort ? L’effroi guette et poursuit son action d’épouvante longtemps. Mais la danse qui tient de la transe de cette jeune femme nue (série de 9 clichés dans la dernière salle, Géorgie, 2009) réconcilie avec le désir et la pulsion de vie. D’Agata dit être « de plus en plus seul dans son entreprise de reconstruction ». On le prie de continuer plutôt à déconstruire, c’est là où tout son génie éclate. Là aussi que la beauté, aussi destructurée qu’elle soit, foudroie du regard.