La Valise mexicaine au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Perdue. Et enfin retrouvée. On la pensait en effet disparue depuis les années 40, mais la mythique valise mexicaine de Robert Capa contenant ses négatifs de la guerre d’Espagne ainsi que ceux de Chim et de Gerda Taro, a refait surface en 2007 à Mexico. Suite à cette découverte, une exposition d’envergure avait été organisée aux Rencontres d’Arles en 2011, la première d’Europe. Le MAHJ prend le relai et montre à nouveau, dans une scénographie enrichie et bien supérieure à l’exposition arlésienne ces documents rares. Une merveille.
On aurait pu ne jamais les voir. Aussi, le regard que l’on pose aujourd’hui sur ces images est nécessairement bienveillant. On ne néglige pas les rescapés… Mais il faut une certaine dose de bienveillance, il faut avouer, pour dépasser la déception de ne trouver que très peu de tirages mais principalement des planches de contact sur les murs de l’exposition. Du reste, la surprise avait été la même à Arles. On ne vient donc pas ici pour voir des « œuvres » à proprement parler, mais bien la rareté et le souffle d’un (proto) photojournalisme de ces photographes embarqués sur les fronts dans les zones républicaines. Celui de Robert Capa, sa femme Gerda Taro et Chim (David Seymour), cofondateur en 47 avec Capa de l’agence Magnum. Partis tous trois couvrir la guerre d’Espagne au plus proche des combats, jusqu’à la mort pour l’épouse de Capa, première femme photojournaliste qui fut renversée par un tank à 26 ans.
Les autres n’y laissèrent pas leur vie et continuèrent de couvrir cette guerre civile, de 1936 à 1939, principalement pour le magazine Regards , l’un des plus anciens titres de presse communiste créé en 1931 dans lesquels paraissent leurs reportages poignants, devenus pour certains mythiques. C’est le cas pour Capa et son travail sur la Bataille du Sègre en novembre 1938 qui révolutionne amplement le reportage de guerre. Le plus abouti et le plus vendu, il recèle un sens dramatique qui fait date. Il en est de même pour Chim, qui suivit, sur les lignes de front les Dinamiteros, ces mineurs asturiens. De ces 4500 négatifs retrouvés, on compte également des scènes de la vie quotidienne, loin des combats et des tranchées de Teruel ou de Ségovie. S’illustre en effet, une marchande de sardine, belle à tomber, l’épreuve photographique comme la femme. D’autant qu’il s’agit cette fois d’un tirage au jet d’encre moderne, échappant au format de la planche de contact. Il en va également d’une poignée de pêcheurs basques, dont la nonchalance fait oublier le vacarme de la guerre. Ou encore cette messe en plein air, comme suspendue, hors du temps. Resteront également les prises de vue de Taro, parfois sous l’influence du constructivisme russe qui choisit des angles pointus en contre-plongée pour suivre notamment l’armée de Valence.
C’est au détour de certaines de ces riches et novatrices compositions que l’on sait gré à ces trois personnalités d’avoir eu le courage d’affronter la peur, voire d’y laisser son dernier souffle. Un courage qu’Aragon saluait ainsi en son temps : « L’art de la photo, l’avant-garde de ce temps-là… Et puis, casse-cou hein ! Le courage… Robert Capa, Gerda Taro, Chim ! » Trois exilés juifs de la Mittle Europa, Taro l’allemande, Capa le hongrois et Chim le Polonais, devenus espagnols le temps de quatre années et dont les souvenirs denses tiennent logés les uns contre les autres dans une petite valise en cuir compartimentée. Emouvante, avant tout.