Soto au Centre Pompidou
Resté dans l’ombre de Julio le Parc, Jesùs Rafael Soto est néanmoins une grande figure de l’art cinétique. Très peu exposé jusqu’ici, le Vénézuélien disparu en 2005 et installé à Paris dès les années 50 trouve, grâce à la dation de sa famille au Centre Pompidou, une place d’honneur dans les collections du musée national d’Art moderne. Une expérience d’optique d’un trouble bienvenu.
Le trouble est réel. En témoigne le panneau à l’entrée de l’exposition qu’il n’est pas superflu d’évoquer ici : « Les caractéristiques visuelles de certaines installations peuvent présenter un risque pour les visiteurs épileptiques ». Cette mise en garde résumerait à elle seule la méthode qu’appliquait Soto à ses œuvres. Pour lui, celles-ci devaient engager tout le corps du regardeur, sa vision, dans un sens large. Un principe qu’il commence à mettre en pratique sur Plexiglas dès 1955, année où il sera invité par Denise René et Vasarely à l’occasion de l’exposition Le Mouvement, jusqu’à ses œuvres de la maturité dites pénétrables, dont l’une est présentée à la fin du parcours et que les visiteurs, ont le loisir de traverser, un à un, invariablement craintifs face à cette forêt d’illusions colorées.
L’exposition ébranle, fait tourner de l’oeil et appuie sur une réalité oubliée : peu d’œuvres réussissent à toucher jusqu’au vertige celui qui les regardent. A mouvoir à proprement parler, tel que l’entendait Daniel Spoerri pour qualifier l’art cinétique dans les années 1960 « d‘œuvres qui se meuvent ou sont mues ». Alors, il est vrai que l’attirail déployé n’est pas léger. C’est à grands coups de spirales, de superpositions de surfaces, de fils de nylons et bouts de métal fixés pour créer du relief, que l’oeil se noye dans ces interférences optiques. Soto utilise également, pour ne pas faire les choses à demi, des tés, ingénieux morceaux de métal qui permettent de surélever certaines pièces par rapport au plan principal du tableau et qui ont pour conséquence de rendre tremblant ce que l’on regarde. Il faut en effet s’y prendre à deux fois pour ne pas voir vaciller des pans entiers de l’œuvre. Par ces dispositifs, Soto semble vouloir placer sous secousses ses créations, leur donner en tout cas une autre dimension, les projeter dans l’espace.
Proche de Mondrian, il disait lui-même vouloir mettre en mouvement les œuvres de son ami et élargir ainsi le champ de la peinture. Il y parvient merveilleusement avec Vibration jaune (1965), une peinture acrylique sur bois et métal agrémenté de fils de nylon qui se présente en effet comme un Mondrian animé, si l’on ose. C’est également le cas de son Cube bleu interne (1976) qui paraît être tout juste sorti de terre. Tout comme nous, sortis de la vision unique et unidimensionnelle.