
Lise Thiollier — La Galerie, Noisy-le-Sec
Le sel, la terre, le temps. Trois éléments qui traversent et structurent l’exposition Métamorphoses de sel de Lise Thiollier, présentée à La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Sculptures cristallisées, structures immersives et installations sonores tissent un récit sensible sur la transformation de la matière, la fragilité des écosystèmes et les mutations invisibles du monde qui nous entoure.
« Lise Thiollier — Métamorphoses de sel », La Galerie - Centre d’art contemporain du 1 février au 26 avril. En savoir plus Débutée en 2022 lors d’une résidence au Chili, la recherche de Lise Thiollier s’attache à l’exploitation du lithium, élément omniprésent dans notre quotidien, de la médecine psychiatrique à l’industrie technologique. Le désert d’Atacama et le département de l’Allier deviennent les pôles magnétiques d’une enquête artistique documentée et inventive qui interroge l’exploitation et l’épuisement des ressources naturelles dans un siècle qui les voit redéfinir la géopolitique comme l’identité même de populations.Au centre de l’exposition, une sculpture emblématique : Desobedecio, une céramique immergée dans un bain de sel, revisite le mythe de la femme de Loth (transformée dans la Bible en statue de sel) sous un angle régénérateur. Ce processus de cristallisation lente évoque la transformation et la résilience, tonalité majeure d’une exposition qui adopte l’angle du soin et de la réparation sans pour autant imposer de vision univoque. À l’image du reflet incertain du visiteur, mouvant et évanescent dans le monumental miroir composé de « chutes » de smartphones noirs hors d’usage ; l’ère des lumières obscures, dans lesquelles l’invention et le progrès technologique ne semblent mener qu’à une plus grande exploitation par les puissances installées, nous fait face.
Par la création, l’allégorie et la superposition des émotions, celle du regard, de l’apprentissage et de la pratique même de la sculpture, Thiollier élabore une politique de l’invention et de la présence qui emmêle distance temporelle et spatiale en jouant avec les symboles et les formes. C’est qu’il est partout question de sculpture. Aussi chargée d’histoire, de potentialité énergétique et vecteur d’une communication modelant jusqu’à nos pensées les plus intimes via leur présence dans les smartphones, la matière lithium est d’abord le composant d’un matériau, lui-même uniquement présent dans des composés.
La figure du flamant rose, exilé du désert d’Atacama, apparaît comme un symbole des perturbations écologiques imposées par cette industrialisation du XXe siècle, enfantée des velléités impérialistes passées. Réactivée dans un modelage minimaliste, elle souligne la part organique essentielle à l’appréhension des enjeux techniques et technologiques. De la même manière que les installations textiles de l’artiste explorent les filiations matérielles entre nature et industrie, les maillages de nappes électroniques des téléphones intègrent également des infimes traces d’or, rappelant les liens entre extraction minérale et colonialisme. Une poétique du vestige et du fragment se dessine, chaque pièce incarnant un témoignage des interactions entre environnement et histoire humaine, dans leur dureté comme dans les stratégies de résistance mises en place par les populations exposées.
Une manière de faire de l’exposition un espace d’apprentissage, un refuge également de repos et de contemplation, nécessaire à toute résistance. Des fauteuils, construits en torchis, nous invitent à une écoute attentive, une reconnexion à la terre en sa qualité de support. Livres, articles à disposition dans une bibliothèque thématique et sons du désert s’entrelacent pour amorcer une réflexion. The eye of feathers, sculpture inspirée de la glande pinéale, interroge perception et cycles biologiques, faisant écho aux propriétés du lithium dans la régulation de nos émotions et de notre sommeil.
Dans la salle des photographies, le temps se brouille. Images superposées, temporalités imbriquées, mémoires cristallisées dans le sel… Lise Thiollier nous propose une expérience du temps cyclique, appelant à recomposer le cours de sa propre existence par une mise en crise de la répétition. Les aberrations temporelles se muent en indices d’une intensité continue à découvrir ; photographies d’archive de lieux qu’elle explorera plus tard, carte postale surannée, sculpture d’une toupie en suspension, débris et déchets recomposés donnent valeur à un présent bien sensible.
Le temps, lui, décompose autant qu’il recompose un paysage que les visions de Thiollier fragmentent en multipliant les associations d’idées et de formes, les régimes de pensée et de représentation. En cela, cette première exposition monographique ouvre une fenêtre sur des mutations à l’œuvre et donne un cadre, si ce n’est un socle — car on en revient continuellement à la sculpture -, aux résonances entre transformations naturelles et bouleversements humains, entre transformation du geste et bouleversement du temps.