Louis Soutter à la maison rouge
3 - Bravo
Critique
Critique
Le 16 juillet 2012 — Par P. B.-H.
« Louis Soutter — Le tremblement de la modernité », La Maison Rouge du 21 juin au 23 septembre 2012.
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C’est à tort que l’on a classé Louis Soutter, le pionnier, l’être de culture, parmi les tenants de l’art brut. À la maison rouge, la peinture renaissante trouve sa sublimation dans les orages d’un œuvre éclectique, qui en appelle aussi bien aux turbulences d’un Van Gogh, à la gravure expressionniste qu’à la gestualité du surréalisme. La modernité jusque dans la tradition, oui. Il ne s’agit pas tant de forger un langage nouveau, que de donner à l’ancien une couleur singulière, empruntant à Cimabue, à Carpaccio, ou encore à Ensor, dans la convulsion des visages. Avec Soutter, l’expérience, la transmission du sensible l’emportent vite sur la description.
Louis Soutter, Glace d’argent, miroir d’ébène, 1938, 0
Peinture au doigt — 44 × 58,1 cm
Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts
Acquisition, 1955
© Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts / Photo: J.-C. Ducret
S’il croque, dans tel cahier, un site pittoresque, une capitale, une cathédrale, il s’empare aussitôt du grand format pour, dans cette quête de l’instinct que dissimule mal sa veine maniériste, camper une « Vierge » — moins « martyrisée » qu’exacerbée. Peinture du foisonnement et de la polysémie, sa peinture est aussi, et particulièrement lorsqu’il étale au doigt le vernis de carrosserie, celle du vertige et de la vigueur mêlés, empreinte du corps travaillé par la matière même. Rien ne révèle aussi bien cet aspect que ces énigmes noires où, dès 1937, se voient rudoyées comme les ombres de Hiroshima. Ici, comme ailleurs, dans les huiles et dessins à la plume, tout n’est jamais question que de vérité, d’appétit du regard.
Louis Soutter, Tête d’homme sur fond carrelé, 1935 — 1942, 0
Peinture au doigt — 34 × 25,4 cm
Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts
Acquisition, 1986
© Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts / Photo: J.-C. Ducret
C’est bien là que réside la force de cette exposition, saisissante à plus d’un titre en ce qu’elle explore la diversité des médiums et supports, et ce, jusqu’au livre dont, de Flaubert à Rilke, l’artiste emplit les marges de motifs proliférants. Aussi faut-il savoir gré à la maison rouge de proposer ces gloses inédites et d’oser réinterroger l’essence de la modernité, celle-la même qui fait encore trembler l’époque.