Nouveau Réalisme = nouvelles approches perceptives du réel — Galerie GP & N Vallois
La galerie GP & N Vallois présente une exposition d’envergure dédiée au Nouveau Réalisme qui fait une fois de plus résonner les éclats de ces chasseurs d’avant-garde ayant su faire pivoter le regard pour distiller au sein de leur présent une recomposition esthétique du réel qui brusque encore le nôtre.
« Nouveau Réalisme = nouvelles approches perceptives du Réel », Galerie G-P & N Vallois du 12 juin au 24 juillet 2021. En savoir plus Porte-étendard de cette présentation qui confirme l’ancrage de plus en plus profond de la galerie dans l’histoire de l’art, l’accumulation de masques à gaz d’Arman témoigne du souci de toute cette génération d’artistes de s’emparer d’éléments emblèmes de leur réalité pour en ériger des compositions qui sont autant de balises émancipées du fantasme d’un universel flottant dans le ciel des idées. Le masque à gaz est bien concret ; artefact de protection, de souci de la santé de l’homme et bien ironiquement indissociable des théâtres de guerre ou de conflits sociaux, il porte une bivalence qui, en réduisant la singularité du visage de chacun, embarque tout être qui s’en vêtirait dans un destin commun, modèle sa face en une chimère luttant pour sa survie en milieu hostile. Ainsi chargé de sens et pourtant produit « consommable » et répétable, il renvoie tout aussi bien au paradigme de la modernité industrielle de l’outil qu’à la multiplication ancestrale des reliques évoquant les autels funéraires des catacombes où les empilements de crânes érigent jusqu’à la nausée les monuments morbides de nos morts programmées.Une pièce majeure qui, avec les coupures de presse d’un jour figé dans le temps (Arman, Déchets bourgeois, 1959), avec les affiches d’une icône arrachée à son présent (Mimmo Rotella, Marilyn, 1963), les restes d’un repas (Daniel Spoerri, Tableau Piège, 1963), les vestiges d’une partie de fléchettes abandonnées (Niki de Saint Phalle, Tir avec tête de poupée, 1962), les reliques de pièces mécaniques remontées (Jean Tinguely, Radio WNYR 10, 1962), la combustion immortalisée (Yves Klein, Peinture de feu sans titre, 1961) et la compression des formes (César) ou la façade d’une enseigne transposée en œuvre (Christo, Store Front, 1964), engagent les symboles d’une société dont tous ces artistes démultiplient la portée. Le « commun » se fond dans le bien, dans le « sien » et inversement : la « singularité », comme mentionnée par le mouvement lui-même, est « collective ». Les murs intérieurs des musées, comme ceux intimes des collectionneurs, doivent par conséquent rendre un « quelque chose » de ce monde qui les entoure. La frontière entre l’extérieur et l’intérieur, entre le caché et le révélé est ravagée ; dans ce renversement, c’est l’acte de reconnaissance du mouvement même (une « prise de conscience » profondément intime par nature) qui se voit maximisé et transposé en œuvre dans une Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme, 1960 remplie à la craie sur papier bleu klein qui mentionne cette formule « Nouveau Réalisme = nouvelles approches perceptives du réel ».
Avec toutes ces pièces aussi fortes sur le plan historique que réjouissantes d’invention et de profondeur, l’exposition Nouveau Réalisme = nouvelles approches perspectives du réel appuie la teneur profondément conceptuelle d’un mouvement qui réinvente la plasticité des beaux-arts. Les matériaux se succèdent, se font face et dialoguent dans cette mise en scène aérée et pourtant chargée de sens pour se muer en motifs dessinant les variations d’une esthétique ancrée dans le temps de ses outils de production. De décor, la réalité deviendra actrice et, ainsi ramené au premier plan, l’horizon renverse la perspective pour devenir le décor du théâtre où s’exposent ses avatars, les œuvres d’art.
En ce sens, la présentation elle-même dépasse son cadre « historique » ; La réalité est bien celle qui affecte et « peut » affecter chaque membre de sociétés dont les paysages sont remodelés par l’évolution technique. Dès lors, le parcours l’illustre parfaitement, la création et l’invention d’une perspective sur notre monde passent par la confrontation à ces agencements du réel dont la seule présence traduit des siècles d’invention, des années de symboles, des millénaires d’évolution et plus que tout se fait matrice vertigineuse d’histoires singulières emmêlées dans le destin commun des sociétés.
Et, quand l’on sait à quel point la galerie œuvre pour continuer à faire dialoguer cet héritage avec notre présent, avec celui des artistes qui leur ont succédé, on saisit la force de cette sélection qui souligne la tension d’un art voué à l’immanence, ramenant l’invention plastique dans le champ du réel, sur le plan horizontal de l’affect et du partage.
Nouveau Réalisme = nouvelles approches perspectives du réel rappelle surtout, en définitive, cette évidence d’un mouvement qui, s’il est perclus de paradoxes, aura su faire coïncider de façon fondamentale un fragment de temps dans un « là », donnant à lire le « présent » dans toute sa « trinité polysémique », un être donné à la contemplation, arraché d’un passé et d’un futur pour figer son maintenant et l’installer au cœur d’un lieu qui lui donne sa valeur.
Le présent (offrande) est présent (là) au présent (maintenant) ; être, temps et lieu, une autre équation que cette exposition prolonge avec bonheur ; une tautologie tricéphale multiplie d’autant mieux la force de vie de ce Nouveau Réalisme qui le restera longtemps.