Philippe Cognée — Galerie Templon
La galerie Templon présente jusqu’au 07 mars une nouvelle exposition de Philippe Cognée dont le thème central, la fleur, pourrait passer pour une rupture dans l’œuvre de ce grand peintre français. Ce serait pourtant mésestimer la cohérence et la force toujours aussi vivace de sa démarche.
« Philippe Cognée », Galerie Templon du 11 janvier au 7 mars 2020. En savoir plus Plus qu’un simple détournement de sujet, qu’un exercice autour d’un nouveau thème esthétique, cette série apparaît non seulement comme une variation ténue d’un thème qui court au cœur de son œuvre, la chair de l’être et ses représentations, de ses inventions. Chez Cognée, les corps, l’environnement naturel et les matériaux synthétiques se fondent toujours au long de compositions graves dont la terrible beauté autorise à son auteur toute appropriation. Ainsi, dans son aspect radicalement différent de ses travaux précédents, cette nouvelle série vient en réalité agir comme une perforation encore plus vive de sa capacité à nous révéler, à travers la peinture, une certaine idée du monde.S’il est loin d’être le premier à saisir dans la fleur le potentiel sensuel, la vanité de l’organe, Philippe Cognée les révèle bien dans son traitement, détournant justement les zones les plus symboliques pour faire jouer la morsure des frontières, l’analogie en acte de la perception, l’image mentale qui naît de toute représentation. Le classicisme devient chez lui une explosion contenue, suave et douce dans sa fixation radicale, lourde et pleine de l’énergie d’un souffle qui se languit d’enfin se disperser. Tout ici s’emmêle dans les fonds marbrés qui sont autant de forêts invisibilisées par l’éclat de la lumière absorbée par ces fleurs. Si elles évoquent immanquablement la vanité, ses grandes toiles ne sont pas pour autant coupées du monde. Chaque détail, des plus grandes toiles aux formats plus réduits tout aussi convaincants, porte en lui une nécessité propre, celle-là même née du hasard maîtrisé de la technique du peintre, plus éparse qu’à l’accoutumée. Par son procédé, il révèle les veines de frontières outrepassées par les couleurs et plonge le regardeur dans des volutes de matières qui sont autant d’appâts naturels sublimés.
Appuyant sa focale au plus près du sujet, Philippe Cognée révolutionne son approche en y déployant pourtant la même perspective que dans ses cadres plus larges. Si on l’avait vu en 2017 s’écarter toujours plus de la surface avec des vues aériennes de mouvements de foules, c’est dans le détail ici qu’il retrouve le fourmillement de la vie, la terrible complexité d’éléments, de couleurs et de textures qui peuplent la moindre parcelle de notre univers. La réduction de l’angle s’apparente soudain, sous son pinceau, au vertige d’un regard abrupt sur l’infini. Dans ce vortex magnétique qui fait vaciller notre propre gravité, la vanité se fait quantique, prise au corps rationnelle qui place l’être humain non pas face à sa condition de mortel mais bien face à l’immortalité, l’infini de la condition qu’il peuple. Et dont il est part.
Carne dei fiori vient ainsi encore marquer la volonté perpétuelle de réinvention d’un art qui s’exprime avec une foudroyante intensité. La révolution est une fois de plus radicale ; au contraire d’une vanité, la fleur de Cognée nous révèle la pure nécessité de nos vies, certainement pas du reflet de nos consciences ou du primat de nos subjectivités, mais bien de ce souffle essentiel que l’on traverse autant que nos existences le nourrissent.