Philippe Mayaux, Butterfly Divinities — Galerie Loevenbruck
En trompe-l’œil, la nouvelle exposition de Philippe Mayaux à la galerie Loevenbruck cache sous des formes nouvelles la permanence d’obsessions qui continuent de faire de son œuvre singulier l’œil de Judas jouissif sur la monstruosité délicieuse de notre humanité.
« Philippe Mayaux — Butterfly Divinities », Galerie Loevenbruck du 23 octobre 2020 au 16 janvier 2021. En savoir plus La structure géométrique répétée de cette nouvelle série présentée à la galerie Loevenbruck, Butterfly Divinities, actant une certaine distance de prime abord avec les signes littéraux de notre propre corps, instille un ordre qui va bien vite éclater, celui d’une symétrie qui ne se révèle être qu’un trompe-l’œil tant les deux faces nourrissent des jeux de perspectives, couleurs et niveaux de profondeur différents. Autant de déraillements qui n’ont de cesse de court-circuiter tout fantasme d’harmonie.Découvrez notre article consacré à l’œuvre de Philippe Mayaux
Pour cette série, Philippe Mayaux perturbe son processus de création en opposant à la méticuleuse transcription et transposition d’une forme, d’une association préalable de motifs sur la toile une transmutation d’un geste brut, réalisé en amont et qui va diriger son travail de composition. Après avoir maculé une plaque de verre de la couleur liquide « Bitume de Judée », Mayaux capture à l’aide d’un scanner les différentes lignes que dessinent les reliefs de cette mélasse travaillée de gestes bruts pour ensuite leur créer un double symétrique par ordinateur, fournissant une trame que le peintre va suivre pour tisser son réseau organique.
Si les « animaux constellations » présentés ici ne sont pas sans évoquer des totems d’un âge nouveau où cosmogonie, biologie, psychologie et éthologie semblent être convoqués, la réserve infinie de possibles de l’imaginaire du peintre semble avoir fomenté la recette d’une mutation monstrueuse en perpétuelle expansion. Et la promesse d’une douce rêverie au rythme des battements d’ailes de papillons divins (« Butterfly Divinities » titre la série) tourne au cauchemar d’un amas de chair, de poils, d’yeux vides ou étincelants, d’ossements saillants sous les peaux tannées de combinaisons chimériques. Rien ici ne nous repose, la zone érogène de la peur et de l’angoisse est à l’agonie ; tout n’est que potentielle phobie, redoublée par la proximité de sa répétition, qui n’a, encore une fois, rien d’identique. Par l’approximation pourtant, chaque moitié de tableau augure de la menace d’un système de prolifération possible et structure l’extension raisonnée d’un chaos de formes aussi humaines qu’effroyablement étrangères.
Chair et matière dégoulinent à la rencontre de leur reflet, s’attirent et se répondent pour tordre la belle « symétrie » de sa chapelle Sixtine de l’effet Rorschach qu’il prend à son propre piège pour en faire le moteur d’une architecture organique autosuffisante. Mais quand le test de Rorschach laisse l’imaginaire spéculer sur des formes proprement non figuratives, le dédoublement de symétrie, les ailes de papillon de Mayaux font « surfiguration », figurent trop pour pour être honnête ; elles instillent comme à son habitude le délice dans l’horreur, la gourmandise dans l’interdit. Un jeu de renversement d’échelle constant qui, avec ses airs de ne toucher que du bout des doigts, impose toujours une présence majeure dans l’espace, ici avec le papier peint reprenant le procédé de ses toiles en jouant cette fois bien plus sur le plein et le vide que permet la bichromie. Une manière d’apparaître comme celui qui, en maquillant l’absurde (au sens propre), en ornementant les lignes libres d’amas de chair monstrueux, de coulures organiques, va restaurer l’ordre en figurant le corps du chaos, celui de la familiarité du monstre.
Plus que jamais, en laissant libre cours à ses interactions initiales avec la matière, Philippe Mayaux emmène en promenade le geste du peintre pour le réactiver dans sa douce et lancinante besogne, celle de redonner à l’infinité des lignes, l’infinité des contrastes contenue dans la moindre parcelle du visible, une matérialité qui offre au regardeur l’opportunité de l’embrasser, à défaut de la comprendre. Il évoque par là une forme d’humilité du travail du peintre, rappelant la beauté profonde de la tautologie créatrice. Confiant au hasard la trame de sa composition, Mayaux fait de l’aléa la force motrice, l’âme de créatures (qui n’ont jamais aussi bien porté leur nom) qui se dévoilent comme le reflet d’un moment premier (lui-même redoublé dans une symétrie initiale) dont le regard du peintre renverrait encore, dernier verre d’une série de miroirs biaisés, un ultime mirage.
Les yeux infinis de nos yeux contemplant les yeux de ce que nous voyons sans le percevoir ; émerge alors de ce jeu de renvoi qui préempte la lumière pour la transcrire, au long de l’opération, une véritable langue des formes qu’accompagne, en la filant, le pinceau du peintre glissant dans les sillons d’une matière effacée. Comme Socrate, à force de renvois dialectiques, de ruses, d’ironie et de fascination pour le monde qui l’entoure, accouche l’âme d’un mot dont l’illusion d’une essence continue de nous survoler dans le ciel des idées et émet sur la terre une vibration qu’il nous appartient d’attraper au vol, Philippe Mayaux nous offre ces papillons magiques à contempler à notre tour pour penser la valeur de ce qu’est véritablement notre image, tant le déploiement de leurs ailes dessine notre vrai reflet.
S’agit-il pour autant d’un changement si profond dans la méthode de ce peintre qui nous a toujours forcés à mesurer la profondeur de notre propre monstruosité, à accoucher de nos âmes ce corps de chair jouissance, de « chère » amour ? La sidération, l’étonnement, le plaisir et les multiples jeux de piste à l’œuvre dans cette galerie de monstres a bien plutôt l’air d’appuyer le reflet de sa propre démarche.
Ce n’est finalement que l’envers du masque qu’a toujours revêtu son art et, s’il se trouve soulevé et retourné sous nos yeux dans cette nouvelle série, difficile de ne pas deviner le même sourire ambigu qu’il a toujours caché ; capable de se retourner invariablement pour tordre l’éclat de joie en grimace de l’horreur.