Pierre Vadi — Centre culturel suisse
Avec « Plus d’une langue », Pierre Vadi propose, au Centre culturel suisse, un parcours au sein duquel le saisissement se fait par l’envers, par le surgissement inattendu d’une profondeur au creux d’un monde muet, qu’il nous appartient de faire entendre.
« Pierre Vadi — Plus d’une langue », CCS — Centre culturel suisse du 16 janvier au 29 mars 2015. En savoir plus Ancrées pour la plupart au sol, les œuvres de Pierre Vadi redistribuent l’espace, le révèlent et le fragmentent, entraînant une déambulation escarpée, à l’image de Paris, qui court sur quelques mètres à travers un couloir et vient s’imposer telle une ligne de fracture au cœur de notre propre attente, celle d’une adaptation du contenu à son contenant. Ici, les vitrines de plexiglas viennent stopper net la progression, les distances interdisent l’examen minutieux de certaines pièces, accrochées à plusieurs mètres de la mezzanine. La découpe murale Slash/Antislash vient imposer une lecture typographique de l’espace ; l’étroitesse du passage creusé dans le mur souligne cette nécessité d’un obstacle, d’une suspension du sens avant de pénétrer l’envers d’une pièce fermée, de l’autre côté, par un mur de plexiglas. Le sol même, jonché de cette planche circulaire aux allures de parquet mazouté, semble redoubler sa valeur.Une forme de tautologie qui vient, à sa manière, faire sens et toucher la promesse de l’artiste d’opérer, par glissement, la construction d’une langue, un ensemble de signes qui, une fois émis, réactivent l’existence de ce qui nous entoure. Cette complexité trouve son point d’orgue avec l’insertion, dans l’exposition, d’éléments naturels. Au creux du mur, un jardinet s’élève opposant aux lignes géométriques sa variété aléatoire, une dualité qu’on retrouve dans les installations extérieures et leurs caissons conçus par l’artiste. De la même manière, ses sculptures, aux allures d’objets conceptuels (cercles, rectangles, cubes), sont formées de matériaux aux limites aléatoires. Inféodées à la perfection de la ligne droite, elles ajoutent un chaos sourd au milieu de la perfection conceptuelle et déjouent leur propre image pour intégrer, dans leur essence même, la complexité de l’histoire, l’imprévisibilité de toute construction humaine. Une image de la liberté, redoublée par les titres des œuvres, fragments d’histoires à l’image de C’était un beau sujet de guerre qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant, Histoire du bruit, ou encore Critique de la raison apocalyptique, qui nous projettent au sein d’une narration déployée en parallèle.
C’est que, chez Pierre Vadi, l’essentiel se joue sous la ligne d’horizon, comme si chacune de ses interventions visait à souligner l’espace, faisant du regard un mode d’écriture auquel l’artiste, en plus de le révéler, lui adjoindrait une ponctuation et, partant, un rythme. Une narration en sous-texte donc, où la matière trahit un souffle de vie, une incohérence constitutive qui fait toute sa force et génère, dans l’abstraction, un flot viscéral de sens.