Julien Vignikin — Musée Dapper
À travers les trois médiums que sont peinture, sculpture et installation, « Le Dîner des fantômes », la proposition du musée Dapper permet d’entrer de plain-pied dans l’univers de l’artiste d’origine béninoise Julien Vignikin, installé en France depuis son enfance et diplômé des Beaux-Arts de Dijon. En résonance avec la très belle exposition du musée « L’Art de manger », consacrée aux rites et pratiques culinaires d’Afrique, d’Insulinde et d’Océanie, l’artiste déploie une réflexion artistique engagée et cohérente autour de la nourriture et de sa répartition à travers le monde.
« Julien Vignikin — Le Dîner des fantômes », Musée Dapper du 15 octobre 2014 au 12 juillet 2015. En savoir plus Entre la surabondance d’une nourriture occidentale saturée de compléments et la cruelle absence de moyens de subsistance, l’artiste nous entraîne, au gré de métaphores, au cœur d’un paradoxe constitutif de l’évolution des sociétés. C’est dans cette opposition que se trouve effectivement la force d’une telle réflexion ; les toiles Indigestion, surmontées d’assiettes en plastique noyées sous une peinture anarchique devenue matière invasive font face au Dîner des fantômes, une table et sa chaise entièrement recouvertes de clous, sur laquelle gisent une assiette et un verre désespérément vides. Entre imposition d’un mode de consommation avec toute la violence aveugle de la société de consommation et de la loi du profit et pénurie alimentaire dramatique, la nourriture devient un enjeu éminemment politique et se fait reflet d’une inégalité qui ne cesse de se creuser entre Nord et Sud.En face de cette double entrée où l’efficacité visuelle se pare d’une symbolique d’autant plus forte qu’elle contient en elle-même les effets de son ambiguïté ; face à l’austérité de la table, c’est presque une explosion sauvage des couleurs, un miroir aux alouettes qui, s’il peut attirer, ne cache pas sa nature propre, le danger de faire de la nourriture un simple bien de consommation quantifiable, indifférent aux cultures et traditions sociales essentielles à la « pratique » du repas.
Un symbolisme à entrée multiple qui se retrouve au sein de son Totem contemporain, deux corps humains surmontés de visages animaux au sein desquelles se mélangent sacrifice et célébration. Loin de ne se réduire qu’à un clin d’œil aux cultures amérindiennes, océaniennes et africaines, cette utilisation d’une construction totemique parvient à toucher un rapport universel de l’être humain face à la nourriture ; il s’agit d’abord d’un rapport à son monde, d’une compréhension, par, ses actes, de ce que la nature contient et, finalement, de ce que lui-même contient la nature.