Retour vers le futur — Galerie GP & N Vallois
Avec Retour vers le futur, la galerie GP & N Vallois signe une exposition de haute tenue, passionnante et passionnée, qui ouvre une fenêtre sur le travail historique de la galerie mais dresse surtout, en filigrane, le portrait d’un regard qui, s’il s’affirme avec force, reste tout entier au service des œuvres d’artistes qui le reflètent.
« Retour vers le futur — Une exposition anniversaire », Galerie G-P & N Vallois du 2 juillet au 29 août 2020. En savoir plus L’esprit truculent, poétique et intrigant de la galerie souffle ainsi tout entier dans cette présentation affective, rétrospective et prospective d’œuvres qui ont traversé le temps ou viennent de s’y inscrire. Une manière de prolonger et de célébrer, dans l’urgence de cette présentation pensée durant les semaines de confinement qui ont précédé son ouverture, les dialogues qu’elle fait vivre tout au long de l’année entre ses artistes, de manière explicite ou, plus souvent encore, avec une belle subtilité, dans le secret de rencontres formelles, de motifs jumeaux dont la confrontation fait naître le doute, sans jamais le dissiper.Au contraire pourtant d’une solution de repli à la gloire de l’histoire de la galerie, Retour vers le futur prend le parti de la simplicité, de l’émotion presque pour lancer ces voix proches ou lointaines, aux tonalités aussi diverses que joyeusement bruyantes. Dans cette plongée passionnante, ce sont donc de grands noms de l’art des XXe et XXIe siècles qui sont surtout des regards qui mêlent constamment l’onirisme, la rêverie, tout en restant violemment ancrés à la réalité, aux combats que chacun continue de mener à travers sa propre existence ; que l’on évoque le climat avec Winshluss, la condition de femme de Niki de Saint Phalle, l’évasion — et l’invasion — mentales chez Pierre Seinturier, la filiation organique des formes et de l’idée dans l’œuvre de Lucie Picandet. Le médium, la matière revêtent d’ailleurs dans cette présentation une véritable importance tant la passion pour l’organique, la représentation et la recherche d’une forme de vie, de système biologique créateur de nouvelles formes semble prégnant dans nombre d’œuvres.
Retour sur des décennies d’histoire, cette exposition propose donc un parcours riche de son esprit aventureux autant que de sa constante attention au monde ; de la volonté viscérale surtout d’artistes de le transformer en nous livrant des expériences concrètes de bouleversement du regard. Dans sa terrible et jouissive ambiguïté, l’orgue à pet de Gilles Barbier se fait symbole de cet esprit bravache capable, pour autant que l’esprit soit bien là, de faire d’une blague potache un tableau qui hypnotise l’imaginaire et suscite, par sa complexité et l’invraisemblable chemin de pensée qui a présidé à sa naissance, autant de joie que de vertige. Une bizarrerie organique et presque, pourrait-on dire, un peu geek, alternative et dissonante qui parvient à systématiser des formes de l’obsession avec un investissement tel qu’on ne tombe jamais dans la médiocre tiédeur ; la médiocrité, au sens propre du terme, devient elle-même une force, un étendard guidant la pensée vers des confins à déblayer pour en saisir la belle profondeur.
Les figures grotesques de l’affiche d’un film imaginaire de Winshluss côtoient les vertiges cosmiques de formes surréelles du superbe tableau de Lucie Picandet, réalisé ces derniers mois, quand les évasions oniriques de Pierre Seinturier ou de Jean-François Chermann constituent une enceinte de silence à l’arrière train dressé d’une biche en bien mauvaise posture. Dans le second espace, au 33 rue de Seine, la confrontation entre la toile de Peter Stämpfli et la sculpture à échelle une d’une femme nue de John DeAndrea est une réussite totale. Se répondent là encore des lignes passionnantes et inventives où l’imaginaire baroque des mannequins de McCarthy, spectres immobiles peuplant un mauvais rêve, rencontrent la précision lunaire du temps suspendu et de l’univers normalisé d’Alain Bublex. Une lente érosion des contraires qui trouve une résolution idéale dans les photographies de phares brûlés de voitures d’Arnold Odermatt, opérant dans l’univers standardisé de la production mécanique la métamorphose du vivant, la naissance de figures modelées par la destruction, laissant à leur tour vibrer les formes pour aménager une place possible à l’imaginaire.
Il se dégage ainsi de ces confrontations inattendues et inenvisageables dans un autre contexte le plaisir de faire cohabiter des mondes contraires, des imaginaires profonds, graves, enjoués, suspendus ou terriblement rocailleux. Une réunion de pièces forcément majeures qui sont autant de marqueurs, dans le temps brumeux qu’elles habitent, d’une possibilité de réinvention du regard et dessinent une constellation de possibles avec l’évidence du bonheur de remettre en crise ses propres certitudes. On rit comme on se fige dans cette succession d’images et d’invention où la retenue, la drôlerie profonde de l’absurde, la persistance du pas de côté, sont aussi largement présents. La réunion de ces propositions rappelle ainsi, comme l’évoque, à juste titre, le texte de présentation de l’exposition, le titre de la première exposition de la galerie, à lire comme alors comme un programme ; Entre la géométrie et le geste, la ligne de crête constante et poétique entre rationalisme, exigence de construction, nécessité du faire et émotion et invention du décalage. Une façon de faire vivre les contraires et d’en orchestrer les chocs devenue style même de la galerie et à la baguette ici pour donner un véritable rythme au parcours.
Irréductible à une simple carte d’identité d’une galerie qui continue d’imposer sa personnalité sur la scène internationale, l’exposition, en jouant entre autres sur les symboles d’une culture Pop et populaire, parvient à se jouer des codes de l’appropriation pour faire émerger un portrait kaléidoscopique où se mêlent toutes les lignes de force qui structurent son développement. Beaucoup d’humour, beaucoup d’évidence et la preuve, dans un accrochage mêlant diversement les époques (et donc les contextes de création), que les œuvres de ces artistes résonnent avec autant d’acuité dans un monde soumis à de nouvelles modalités. La preuve aussi qu’un regard en arrière, un retour sur son histoire, même forcé par le contexte mondial, n’a pas d’équivalent pour rappeler que de nouvelles narrations ne cessent jamais de démarrer.