Simon Hantaï au centre Pompidou
A travers une vaste rétrospective, le centre Pompidou nous met sur les pas de Simon Hantaï, peintre qui aurait voulu peindre les yeux crevés. C’est en effet à l’aveugle qu’il peindra à la fin de sa carrière. Retour sur ce parcours brillant.
« Simon Hantaï », Centre Georges Pompidou du 22 mai au 9 septembre 2013. En savoir plus Il est des rétrospectives lumineuses et simples qui nous rendent l’œuvre d’un artiste limpide. Celle du centre Pompidou en fait clairement partie. Dans un parcours chronologique bienvenu, y sont ressuscités les gestes et les méthodes de cet Hongrois devenu français et disparu en 2008. D’abord surréaliste aux côtés d’André Breton, il peint à la façon d’un Dali qui aurait croisé la route de Jan Fabre, apposant à ses lignes sinueuses et organiques une matière morte en signe de vanité ; arêtes de poissons, cadavres de petits rongeurs et autres squelettes dérangeants. Il retiendra de ce mouvement artistique les collages et grattages, puis trouvera sa voie propre dès la fin des années 50 dans la simplicité déroutante d’une peinture par petites touches raclées. Ses toiles ressemblent alors à des écailles de poissons où les cercles forment un ensemble plein et systématique. Puis viendront ses fameuses Mariales dont la méthode nous est admirablement expliquée dans la vidéo qui clôt l’exposition. Hantaï plie une grande toile, la froisse jusqu’à former une boule, passe dessus un rouleau compresseur puis peint dans les parties restées accessibles. Par la suite, il la déplie pour peindre l’intérieur des plis dits « en réserve ». Le résultat est grandiose et le processus, un hommage au génie de la simplicité.Dès les années 60, le peintre fascine autant par la manière que la matière. Comment à partir d’une idée aussi basique, parvient-il à offrir à l’histoire de l’art ses plus grandes toiles de la seconde moitié du XXème siècle ?
Hantaï autorise d’ailleurs quiconque à faire comme lui. Chacun, prétend-il, « peut faire comme moi » à son tour. Mais il fut le seul. Le seul à poser le fondement d’un système. Le seul à l’exécuter. En 1963, il innove à nouveau avec les Catamurons , sortes de Mariales où il aurait laissé les bords blancs. Moins pleines, les toiles s’épurent peu à peu et se rapprochent de tableaux traditionnels, faisant émerger des formes en son milieu, se détournant donc nettement des tableaux-muraux (bord-à-bord). La série qui suivra, plus légère que les autres, les Panses, quitte le froissage pour le nouage. Hantaï noue aux quatre angles la toile, peint, plie et déplie, puis peint à nouveau. Il y aura plus fort encore avec les Meuns, pré-aboutissement de sa carrière en ce sens que Hantaï arrive enfin à peindre « les yeux crevés », à l’aveugle dira-t-il.
Il fait un seul nœud cette fois, pour laisser plus de place au blanc, à l’absence de peinture. S’efface-t-il dans ce geste ? Sûrement car il se retirera de la vie publique dans les années 80. Il aura laissé derrière lui une dernière série, la plus célèbre, celle des Tabulas, étoffée par la suite avec son travail des Laissées où l’artiste reviendra sur ses pas et découpera pour recadrer son œuvre rétrospectivement. Les Tabulas, carreaux sur fond blanc obtenus par nouages réguliers donnent à voir des quadrillages. Sont-ils là pour représenter des barreaux ? Un grillage ? Peu importe l’interprétation que l’on en fera, Hantaï aura plié, déplié, noué, dénoué, froissé, défroissé, sans jamais s’emmêler dans les fils de sa technique, oscillant entre un Matisse, influencé par Pollock, mais resté aveugle aux mouvements, fidèle au sien.