SoixanteDixSept Experiment — CPIF, Pontault-Combault
Dans le cadre de l’événement SoixanteDixSept mené en commun par trois centres d’art franciliens pour fêter les quarante ans du Centre Pompidou, le Centre photographique d’Île-de-France de Pontault-Combault propose une plongée dans les archives vidéo du centre et, parallèlement, dans un projet autour des archives de la bibliothèque Kandinsky.
Exposition : « SoixanteDixSept » du 11 mars au 16 juillet 2017. En savoir plus Avec une véritable réflexion autour du rôle d’opérateur, c’est-à-dire de celui qui active une machine pour capturer une ou des images et bien souvent ici, celle qui se trouve être sujet de ces images, l’exposition se concentre sur les révolutions qu’a amenées la représentation, à travers la vidéo et la photographie, du geste artistique. Hommage au Centre Pompidou, mais plus encore aux artistes qui l’ont habité, SoixanteDixSept Experiment est un parcours en deux temps, expérimental lui aussi qui, outre une sélection de vidéos formidables, invite trois artistes à développer dans l’espace les résultats de leurs recherches.Marcelline Delbecq, Marina Gadonneix et Aurélie Pétrel, partant de la base d’archives de la bibliothèque Kandinsky, celles du duo de photographes Harry Shunk et Janos Kender, célèbre duo Shunk-Kender qui a immortalisé le travail de nombreux artistes majeurs des années 50 à 70. Prolongeant la question de l’opérateur et des biais de la construction d’une œuvre, les trois artistes imaginent des dispositifs qui convoquent également les étapes majeures de l’histoire de l’art en 1977, date d’ouverture du centre. Les œuvres présentées, si elles peuvent paraître réfractaires à toute appropriation univoque et antithétiques avec la prégnance du corps des vidéos présentées, questionnent tout comme elles non seulement leur médium mais aussi leur principe de réalisation, d’activité personnelle ou collective qui a présidé à leur apparition. Ces dispositifs et clichés se confrontent ainsi à une multitude de concepts qui, s’ils leur font perdre un peu en lisibilité, n’en sont pas moins des preuves d’une actualité d’un courant émergent dans les années soixante-dix. Un choix d’œuvres assez âpre, qui multiplie les arguments et rapprochements historiques pour justifier une somme de dispositifs qui constitue un champ d’expérimentations dont pourrait émerger une véritable problématique plus qu’une véritable création, collective ou non. Une limite qui n’empêche en rien l’exposition de receler de somptueux trésors et l’on comprend presque, face à la richesse enthousiasmante des vidéos présentées dans la première section, la relative austérité du parcours qui les prolonge.
Avec une véritable ligne directrice centrée autour de la question des femmes et de la performance, le cpif offre en effet une sélection de vidéos particulièrement réussie dans une configuration qui nous invite à projeter nous-mêmes ces trésors sur grand écran. Chacune d’entre elles questionne le rapport de l’artiste à l’espace, qu’il s’agisse de l’espace de l’art, de l’espace imaginaire ou de l’espace public. Une formidable réflexion clairvoyante sur l’évolution des pratiques et l’irruption de la vidéo non pas seulement dans l’art mais dans la société.
Toutes ces vidéos oscillent entre un élan de redécouverte du corps et une mise en perspective des dangers de cette réflexion par l’image. Une libération d’abord donc, avec la réappropriation de cette corporéité confisquée par des siècles de domination patriarcale, notamment à travers la réactivation d’un rite sacrificiel qui voit l’artiste Ana Mendieta aux prises avec un poulet. Dans Blood Sign #2-Body Tracks c’est une force de féminité rare qui se déploie sur un plan fixe de l’artiste nue qui, dans une cambrure vertigineuse, accomplit un geste de peinture radicale, deux traces de sang qui viennent figurer, entre autres lectures possibles, un sexe féminin. Orlan, avec son MesuRage, s’approprie le lieu de la performance par le corps, lui donne une fonction d’outil pour mesurer l’espace et ressentir à plein les dimensions du Centre Pompidou. Chez Gina Pane, une succession de gestes simples constitue l’essentiel de saynètes drôlatiques et absurdes qui participent à cette fête de la chair où le corps devient un moyen d’expression, un agent de la création.
Mais plus encore, ce qui s’y joue est déjà la possibilité d’une nouvelle perte, une vision d’un futur qui commence déjà à peser sur l’humain, à en détourner l’image, le réduisant à des données scientifiques comme l’évoque Martha Rosler dans Vital Statistics of a Citizen, Simply Obtained de 1977. Une émancipation qui ne cache pas son ambiguïté ; libéré du joug d’une société symbolique, le corps se voit alors menacé par d’autres codes, ceux de la logique du chiffre. Un sentiment d’inquiétude flotte également dans la vidéo de Valie Export, Adjunct Dislocations II, qui met en scène une femme affublée de deux caméras. Machine humaine, elle est prisonnière d’un piège qui braque des objectifs sur elle et la surveille en l’offrant à la vue de tous, tandis qu’elle même revêt le matériel pour filmer ce qui la filme. Dans ce jeu de miroirs, l’artiste s’enfonce au sein d’une structure comme une impasse, portant sur elle un poids qui oscille entre condamnation et moyen de défense.
Quarante ans après, c’est tout de même un bonheur véritable d’assister à cette modernité, à l’essor de l’avant-gardisme et de la destruction des codes comme modus operandi d’un art qui s’approprie le premier l’outil vidéo pour réfléchir sa pratique et sa subjectivité. Une audace dont on mesure la portée grâce aux archives d’Artpress, judicieusement exposées, dédiées à l’ouverture de ce centre alors que son existence même était l’objet d’un débat de société. Les conservatismes de tout crin y étaient légion mais le Centre Pompidou, au prix d’une véritable confrontation et d’une radicalité à l’image de l’art des années 70, est parvenu à conquérir sa légitimité et a réussi son pari d’assembler l’art moderne depuis 1915 jusqu’à un aujourd’hui qu’il lui appartient de poursuivre, voire de créer.