Stéphane Dafflon — Le Plateau
Spécialiste de l’installation in situ, Stéphane Dafflon imagine, pour sa première exposition personnelle dans une institution parisienne, un dispositif spécialement pensé pour les espaces du Plateau.
« Stéphane Dafflon — U+25A6 », Frac île-de-france, le Plateau du 1 février au 15 avril 2018. En savoir plus Minimaliste, son œuvre pictural et sculptural met en mouvement les lieux qu’il investit pour en modifier la perception et faire de l’espace un réservoir à sensations renouvelées, invitant à ressentir le lieu d’une manière inédite. Un processus mis en place avec une force radicale dans U+25A6 qui, à partir de trois médiums, la peinture, le papier adhésif et la sculpture, offre une exposition forte et marquante qui dépasse la froideur minimale pour toucher une sensibilité concrète qui fait intervenir directement le visiteur. Trois médiums comme autant de motifs, de moments qui rythment la déambulation dans l’espace et dirigent le regard en le perdant sous l’infinité de variations rendues possibles par la progression chromatique complexe des adhésifs plaqués au mur. Modélisée au préalable sur ordinateur, U+25A6 se joue pourtant de la dichotomie entre art numérique et peinture, sculpture pour offrir une superbe progression formelle qui se déploie à mesure que le regard s’élance dans l’exposition. La lumière et la répartition de l’espace s’en trouvent ainsi totalement transformées, notamment grâce aux cimaises ouvertes qui coupent la salle centrale en y creusant une fabuleuse perspective. Cachant sous son apparent mystère une pure rationalité, le titre de l’exposition renvoie au langage informatique Unicode et désigne un carré avec des lignes perpendiculaires, une « grille » pour l’artiste qui nous confronte donc à un espace ambigu, entre la systématique de l’informatique et l’instabilité de la matière.Parcourue de cette ambiguïté fondamentale, tout vibre dans cette exposition, jusqu’à ce que le regard s’accroche à l’une de ses peintures ou sculptures comme on s’agripperait à un point fixe pour mieux observer alentour et comprendre la plénitude esthétique de chaque panorama que fabrique ce parcours. Constituées de simples baguettes, comme des cadres posés à même l’espace pour en souligner un point précis, ses sculptures géométriques minimales jouent du contraste vide et plein pour affirmer, dès l’entrée de l’exposition, la valeur de l’architecture investie. Ainsi, la première pièce du parcours consiste en un « cadre » à six côtés qui, s’il délimite un pan du mur vierge, dépasse légèrement de celui-ci et semble d’emblée souligner la capacité de ce « décor » à déborder l’intention de l’artiste. Cette distance infime entre la cimaise et les baguettes de bois, elles-mêmes aimantées entre elles et, par définition, plus aptes à laisser jouer le vide, borde ainsi les deux extrémités de l’exposition. L’une à l’entrée, l’autre en fin de parcours, leur forme évolue mais elles contiennent la même valeur d’ouverture ne manquant pas de laisser sentir une possibilité de continuation, un sentiment de boucle continue qui, comme souvent avec l’art minimal, évoque directement la musicalité de la lumière.
« Jeu », « mouvement », « composition », « motif », autant d’éléments d’un lexique partagé entre arts visuels et musique qui trouve ici encore une gémellité sensible. Le ronronnement des machineries, tuyaux, cliquetis d’un tube lumineux en passe de rendre l’âme, volontairement utilisés ou non, deviennent des acteurs de cette musique engendrée par l’espace, des variations fixes d’une composition spatiale qui active ses « mouvements » à la mesure de la position du visiteur. On sent en effet dans ces vibrations de chaque tableau la mise en scène d’un motif posé sur une ligne musicale continue portée par les adhésifs qui recouvrent les murs, offrant des ruptures de rythme, des continuations et des espaces libres d’improvisation de l’imaginaire confronté à un espace chromatique limité.
Si les couleurs sont statiques, chaque angle, chaque nouvelle position dans l’espace dévoile un nouveau motif, une instabilité qui prend forme et s’imbibe d’espace et d’émotion. Chacun peut donc se laisser piéger par une association de couleurs, un angle ou une superposition de formes et voir sa sensibilité sollicitée par un dégradé, une juxtaposition de lignes, voire à un mirage.
La simplicité et la force de la couleur font ainsi de l’œuvre de Stéphane Dafflon des décors méditatifs qui cachent une réelle mise en perspective du regard, une expérience qui dépasse, in fine, son caractère expérimental.