Daiga Grantina — Palais de Tokyo
Avec une fraîcheur et une énergie qui font écho au titre de l’exposition Toll, littéralement « fou » ou « épatant », cette jeune artiste lettonne, née en 1985, investit le « Païpe » du Palais de Tokyo et offre, à travers une installation d’envergure, une véritable exposition.
« Daiga Grantina — Toll », Palais de Tokyo du 16 février au 9 septembre 2018. En savoir plus Figure émergente d’un art libre, inventif et indépendant qui mêle abstraction et souci constant de la forme, de l’effet, Daiga Grantina a été montrée plusieurs fois en France et notamment chez son galeriste parisien Joseph Tang (qui lui consacre d’ailleurs une exposition jusqu’au 18 mars1). À travers ses sculptures, cette jeune artiste déploie des volumes dans l’espace constitués de matériaux divers, souples ou rigides en jouant constamment sur leur capacité à modifier la lumière et sur la gravité, les érigeant vers les airs ou appuyant au contraire leur avachissement à même le sol. Capable de renouveler constamment sa gamme chromatique et les formes qu’elle invente, cette artiste dessine un monde fait d’embûches et de contradictions visuelles qui n’en perd pas moins une subtile unité. Car si elle efface tout symbole lisible, toute figuration dirigeant à sa guise le regard, Daiga Grantina n’en parvient pas moins à inventer des œuvres qui se délestent de toute identité sans pour autant perdre leur singularité. Ces formes deviennent autant de figures secrètes, supports ou surfaces d’œuvres d’art, pièces de décorum ou actrices d’une pièce mystérieuse à l’image de celle qui se joue sur cette scène ouverte du Palais de Tokyo.La multitude de volumes parvient en effet à occuper avec une rare pertinence cet espace décloisonné, aussi accueillant que complexe à habiter en proposant, autour d’une grande installation, une véritable invitation à déambuler entre les modules, entre les pièces qui sont autant de figures à découvrir. Véritable ode au mouvement, Toll intrigue d’abord par son apparent mutisme pour forcer ensuite le spectateur à s’approcher, s’éloigner, laisser glisser son regard derrière les drapés solides et translucides, chercher les passages et autres fêlures pour mieux accueillir la réverbération lumineuse d’une sculpture voisine. Dès lors, si les matériaux se mêlent et se conjuguent pour capter, réfléchir ou diffracter la lumière, ses formes étranges dessinent également, dans la distance qu’elles imposent les mouvements qu’elle exigent pour les observer, un étrange ballet sensuel qui, à son tour, leur donne vie. Une effervescence sensible dans l’espace d’exposition qui n’est pas étranger à la forme même de ces œuvres.
Si l’artiste multiplie les matériaux transformés tels que plastiques, métaux, cordes et câbles, un indicible sentiment de concrétude organique habite son « bestiaire » qui oscille entre créatures imaginaires et détails de corps inconnus. C’est ici la question de la situation de la sculpture qui irrigue cette proposition avec une efficacité redoutable, offrant un écrin de choix à un art qui trouve ici sa pertinence. Pris entre les lignes brutes du bâtiment, entre les rais de Lumière intermittents qui baignent l’installation, ces amas de matière recouvrent un sens qui reste un mystère autant qu’une évidence.
S’agit-il alors de pièces individuelles, d’éléments d’un système dont la juxtaposition crée le paysage ? Daiga Grantina laisse l’imaginaire divaguer entre l’appréhension de ces structures comme abri potentiels ou au contraire forteresses défendant un accès libre, jusqu’à l’emmener, dans un dernier temps, en suspension. Dans l’une des pièces les plus éloignées, comme flottant dans l’air, séparée de la gravité, le regard se fait témoin immédiat d’un décollage nécessaire hors de toute rationalité, hors de tout sens pour s’immerger tout entier dans le mouvement d’un art qui s’émancipe de toute contrainte, de toute référence.
Et le spectateur de ressentir finalement avec évidence une force brute, belle et insaisissable qui parvient, sans artifice et avec un superbe aplomb, à partager une émotion vivace, libre et non dirigée.
1 Découvrez l’exposition de Daiga Grantina à la galerie Joseph Tang