Valérie Favre — Galerie C
Au gré des obsessions qui ont irrigué son imaginaire, Valérie Favre nous convie dans l’espace de la galerie C dont elle inaugure l’antenne parisienne, rue Chapon, à la découverte de ses nouvelles abymes, où les vertiges de la vie se confrontent au souffle incessant de nos morts.
« Valérie Favre — La vie devant soi », Galerie C, Contemporary Art du 5 septembre au 25 octobre 2020. En savoir plus Renouvelant comme à son habitude son vocabulaire pictural sans jamais perdre le fil d’une langue plastique qu’elle fait osciller, au gré de recherches et de rencontres à la frontière de contradictions qui nourrissent les thématiques de ses œuvres, Valérie Favre présente une nouvelle série dont la dimension « métaphysique », une fois encore, souligne son « attention » et son attachement à la vie, jusqu’à la mort. Dépouillé de toute mystique figée, de toute croyance arbitraire, son « au-delà » du territoire de la réalité pragmatique est parcouru de forces, d’intensités poétiques, sensorielles, de spectres et de souvenirs impossibles qui forment le panthéon d’un imaginaire qui continue de guider tous ceux qui ont choisi, à sa suite, de glisser leurs pas dans les chemins de traverse bariolés que sa recherche défriche.Des obsessions qui rythment sa modélisation du monde où se bousculent les figures de poètes, les aplats de couleurs qui sont autant de ciels possibles à explorer aux confins du nôtre. Une bivalence des thèmes abordés évoquée dès le titre de l’exposition, La vie devant soi, référence au livre du double de Romain Gary, Emile Ajar. Un titre à lire donc, d’emblée, à travers le miroir d’une mort qui pourrait tout aussi bien être derrière soi. Ailleurs, dessous, dessus, la mort, dont Valérie Favre n’hésite pas à emprunter les symboles en les intégrant dans des danses qui confinent, sans pour autant perdre de leur gravité, au burlesque, est donc avec nous. Sur un radeau, les poètes dont le portrait est collé à même la toile semblent soumis au gré de courants invisibles quand il s’agit bien du souffle du vent, le mouvement de ce même air que l’on respire face à la toile qui pourrait les faire vaciller.
Ici aussi, les techniques se confrontent, les tableaux eux-mêmes se télescopent avec un accrochage qui varie durant la durée de présentation, brisant les équilibres et interdisant toute lecture binaire de cet œuvre pourtant empli de paradoxes, qui se résolvent dans la passion qui les porte, dans la somme des pulsions de peintre qui les traversent. Plus que tout, Favre est peintre et, à ce titre, elle se nourrit de tout ce qui n’est pas peinture ; la technique, la ligne et le code sont ainsi autant d’outils pour aborder la vie totale de ses sujets, de la littérature comme de l’histoire personnelle des auteurs, de la peinture comme de la portée de ses thèmes de prédilection, de notre existence charnelle comme du prolongement de l’existence dans la mémoire.
La malice de sa peinture, sa capacité à user de techniques différentes pour transposer son histoire en motif d’une nouvelle narration témoigne, au long d’une exposition aussi intimiste que vivante, où la galerie même tient un rôle, de la volonté de l’artiste de créer un espace libre hors de tout accrochage dogmatique ou temporel. Le temps y est suspendu, il s’écoule devant, derrière et ailleurs, si fuyant qu’il a déjà quitté la temporalité des toiles de l’artiste, qui nous installe encore dans un « entre », l’antre de ses fantômes bien réels.
La Résurrection de Lazare d’Albert van Ouwater qui a inspiré la peintre se décline ici à travers le prisme d’une vision hallucinée où les détails ne se révèlent qu’au gré de conjectures mais qui portent en eux les marques du regard de peintre. Dans cette nouvelle « vie devant soi », si la palette se charge par moments de teintes plus claires et plus « vivantes » qu’à son habitude, cette vie en suspens, cet « au-delà » a tôt fait de déjouer tout mysticisme pour penser un véritable « haut-delà », la verticalité d’une aspiration à une théogonie intime, faite de nos propres héroïnes et héros. Plus donc qu’une possibilité de la transcendance, Valérie Favre pointe avec sobriété et malice des éléments ancrés dans le réel, de la sandale négligemment (mais opportunément) abandonnée dans l’un des points d’entrée du tableau, aux lignes de la pierre édifiée, du chapeau pointu aux animaux fantastiques qui se dessinent dans les ombrages et font vivre jusqu’aux décors des légendes.
Pas d’au-delà quiet et immobile à espérer ici, nous avons besoin de nos morts pour bâtir l’horizon que dessine le bel « haut-delà » de Valérie Favre qu’il nous appartient de nous fabriquer, de penser et de découvrir à l’image, au final, de cet arbre retourné qui jette vers le ciel ses racines, s’expulsant dans un florilège de couleurs de la terre pour renverser son point de vue et le nôtre.