Virginie Barré — Galerie Loevenbruck
La galerie Loevenbruck présente une exposition personnelle de Virginie Barré (1970), figure d’un art de la mise en scène dont la multitude d’éléments plastiques et de médiums employés participe d’une écriture singulière de narrations éthérées, qui puisent précisément dans cette ouverture leur radicalité.
« Virginie Barré — Nous dans la vie », Galerie Loevenbruck du 17 février au 15 avril 2023. En savoir plus Nous dans la vie fait se confronter un film court aux allures de comédie musicale dont les battements rythment le parcours, mélangeant séries passées et aménagement in situ dans l’espace ouvert de la galerie. Derrière sa douceur apparente, cette nouvelle exposition de Virginie Barré cache, comme à son habitude, une vision radicale de l’imaginaire qui, loin des contradictions symboliques, ne dissimule aucun arrière-plan, aucun sous-texte ou angoisse autre que ceux, « immédiats », qu’il engage pour s’affirmer pleinement. Une complexité « évidente » qui passe, ici, par un subtil précipité entre faculté singulière d’imagination et images communes, patrimoine mental à l’œuvre dans une entreprise de « déprise » de soi.Dans cet ensemble d’œuvres composé de sculptures, d’un film, d’objets transformés et d’impressions sur tissu, Virginie Barré fait vivre les opposés sur un même plan. Le précieux et le banal, l’inerte et le symbole de vie s’ébattent dans sa joaillerie en papier composée de colliers qui, incidemment ou non, évoquent le monde organique, voire même un organe reproducteur, comme un écho aux graines, elles maquillées de brillantine, abandonnées dans un pot. Immobiles, c’est pourtant bien la vie qu’elles célèbrent, quand l’artiste nous avait habitués à mettre en scène la mort ou peut-être, le comprend-on mieux dans cette inflexion positive, à saisir les indices de la mort dans ce qu’il y a de vie. Et embrasser ainsi la contradiction dans sa globalité, comme une mise à niveau des arrière-mondes sur le devant de la scène.
En cela, chez Barré, tout est donné et le spectateur n’est pas mis en garde mais maintenu en éveil, les yeux grands ouverts jusque dans le songe. Une « mécanique orange » bienveillante et libératrice ? De sa quotidienneté initiale, le film court Nos corps sont des rivières s’offre une incursion dans une temporalité qui le perce et dilate sa somme de possibles. Le rêve, ici matérialisé par un passage secret, opère la transition d’un état à un autre permettant non pas de renverser la narration mais de la replier sur elle-même, renvoyant toute une petite bande de jeunes gens d’une maison de vacances à une plage bien réelle. Le voyage est tout aussi mystérieux et fantastique qu’il est cohérent et localisé. C’est que, dans la somme du réel palpite l’infini des possibles.
Sans s’opposer ainsi à la dimension onirique du film, la matérialité des objets qui le côtoient partage une même forme de nature éthérée. Des suspensions en papier de riz, des colliers de papier découpé, des tissus imprimés ; chacun d’eux paraît sensible aux altérations de l’atmosphère et pourrait s’accorder à la moindre modification de l’atmosphère. En ce sens, ils forment tout autant le décor qu’ils s’y meuvent et, tels acteurs et actrices d’une scène rêvée, imposent le cadre narratif dont ils sont eux-mêmes sujets. De la même manière qu’ils portent la double nature de support d’inscriptions extérieures et d’objets décoratifs inscrivant sur le monde qui les entoure leur marque, ils donnent le coup d’envoi au voyage du spectateur qui ne peut que constater sa plongée anticipée dans le monde de l’artiste. Dessinant dans l’irrégularité de l’horizon les amarres visuelles d’évasions possibles de l’imaginaire, toutes ces formes inattendues mais pas impossibles l’invitent à naviguer dans sa propre vie, comme déjà échappée.
Nous sommes alors, à sa suite, « dans la vie ». La nôtre, celle des autres. Le rêve n’a plus rien ici de fragile ; au contraire, sa frontalité et sa rectitude marquent définitivement l’esprit. Plus qu’une occultation de la complexité, l’exposition de Virginie fourbit les armes de l’imaginaire pour inventer une étrangeté qui n’inquiète pas, qui se doit d’être accueillie avec appétit pour sa capacité à prolonger encore l’évasion.
En cela, c’est une forme radicale de joie que nous raconte Virginie Barré ; évidée de toute moralité car détachée de toute définition figée, mue même de la notion d’état à un mouvement permanent, cette joie s’invente dans sa transformation, toujours capable d’assimiler ses contradictions et de persister dans son être.