Histoires vraies — Mac Val, Musée d’art contemporain du Val de Marne
Au Mac Val, les couleurs et les fantaisies n’empêchent pas le doute d’émerger, voire de submerger. Ce sont des Histoires vraies, d’abord parce qu’elles se racontent. Une exposition kaléidoscope et pleine de révélations pensée par Frank Lamy à retrouver du 4 février au 17 septembre 2023.
Avec une rare agilité, le parcours parvient à dresser un portrait complexe de ses enjeux tout en embrassant, par l’intelligence de son choix d’artistes invités, une multitude de problématiques contemporaines qui s’expriment ici avec une subtile actualité et une formidable acuité. Tourbillons, boules et cotillons, les apprêts de la fête tournent vite au cauchemar ; les corps se métamorphosent et se modifient pour constituer autant de modes d’existence à absorber. Happant le spectateur dans un remous aux couleurs vives et aux formes frappantes, le parcours, marqué par l’esthétique radicale du jeu et du carnaval, jongle avec une égale aisance entre les préoccupations intimes et les enjeux historiques les plus universels.
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Trajectoire que l’œuvre de Mary Sibande illustre à la perfection, elle dont le personnage aux yeux fermés réinterprète les conditions d’existence de nombreuses femmes de sa famille, employées au service des autres. Une manière de se réapproprier l’histoire pour écrire la sienne et d’opérer un glissement que l’on retrouve dans la majorité des propositions, faisant de la réalité, des autres comme de la nôtre (on peut penser également à la très belle série de rêves, Mes Insomnies d’Anne Brégeaut), une somme de possibilités tenant lieu de modèles à employer comme outils bien plus que comme idéaux. Le masque, le jeu et le déguisement, très présents dans le parcours ne se limitent plus alors à la question du travestissement mais deviennent des pièces d’ornementation, des accessoires dont le choix de s’en revêtir assure une forme d’augmentation de la puissance.
Marqué par la ligne, par le fil sensible qui réunit et relie les différents éléments, le parcours ouvert et délibérément vierge de sens de visite offre une infinité d’entrées pour composer une narration ou, au contraire, s’y perdre pour s’en échapper. Terriblement riche, la liste d’échos accumule les cousinages de circonstance entre des œuvres qui participent du propos sensible qui poursuit admirablement le travail de mise en crise de la réalité par le MAC VAL depuis près de vingt ans. Des figures burlesques de Mehryl Levisse et personnages de Kenny Dunkan constitués de reliquats, des corps sans organes de Jean-Charles de Quillacq, de Laura Botterau & Marine Fiquet, des mises en scène ouvertes de restitution d’histoires des autres de Katia Kameli, Esther Ferrer ou Alice Brygo, des détournements cocasses plein d’une rigueur quasi administrative d’Olivier Nottellet, Hippolyte Hentgen ou Alexis Foiny, pour ne citer qu’eux, chaque artiste présenté instaure une faille subreptice dans une réalité qui n’a plus rien de normale, et moins encore de normative.
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C’est qu’en définitive, Histoires vraies fait un sort au fantasme contemporain de la technique et de la technologie, érigeant ces dernières comme filtres actifs des modifications de notre perception. Or l’histoire, si elle évolue, n’a pas besoin de ruptures technologiques pour progresser. Le réel, engoncé et répété à l’infini dans chacun des êtres, peut se déployer à tout moment dans son infinie complexité et toucher, pour ne pas dire bouleverser, celui de son voisin, capable de le sentir à son tour. La réalité augmentée n’est que le reflet d’un pléonasme trompeur. Toute réalité ne se lit que comme une accumulation, à nous seulement d’accepter d’en épouser la nature et de nous emparer des multiples chances qu’elle nous offre de l’habiter, dans le conflit et dans l’acceptation, dans l’affirmation et le refus, pourvu simplement qu’elle soit plus intense.
Alors perdure cette tension, l’interrogation prégnante entre d’une part une narration issue du désir de témoigner du monde, de rendre compte des possibilités de l’habiter, des conditions d’existence qu’il impose et, d’autre part, le souci d’inventer, à travers la fiction, un monde parallèle dans lequel expérimenter à nouveaux frais la réalité.
Une ambiguïté fondamentale et féconde dont l’opposition apparente n’est peut-être pas exclusive, concourant même, dans la compréhension de la plasticité de sa frontière, à dessiner une ligne d’horizon plastique qui, elle, pourrait bien servir de modèle.