Ana Vaz — Meteoro, 2023
Nommée au Prix Ricard 2023, Ana Vaz (née en 1986) présente Meteoro, un film renversant et passionnant au sein de l’exposition Do You Believe in Ghosts? à la Fondation Pernod Ricard.
Forte, exigeante et sensuelle, cette œuvre renoue avec les expériences de l’histoire de l’art tout en inventant un pont tangible entre science et fiction, obtenant dans les interventions orales (littéraire avec le texte du narrateur et de l’ordre de la discussion avec l’interview d’un technicien) les graines d’une lecture de l’avenir qui passe autant par l’histoire que par l’invention. Une poésie viscérale qui déploie sur deux écrans des images jumelles ou contradictoires dans un délice de paradoxes et d’inventions.
Dans un noir et blanc saisissant, minéraux, animaux, matières organiques et constructions artificielles, environnements urbains et industriels s’entremêlent en une litanie de contrastes. Filant à la vitesse d’une automobile dans les rues de Paris ou fixant des points d’évolution plus lents, Ana Vaz imprime dans l’espace de la fondation une course en boucle qui nous transporte à quelques centaines de mètres de là, jouant de la distance fictionnelle du noir et blanc de l’image pour nous emmener d’autant plus loin. La figure du train, celle des frères Lumière lors de son arrivée en gare semble être repartie à toute allure, emportant avec elle la caméra pour explorer l’histoire de son médium à rebours. Une nourriture riche pour l’imaginaire, à quelques mètres de la zone d’embarcation des trains de la gare Saint-Lazare qui jouxte la fondation.
Formellement, la basse très présente dans la bande sonore participe, autant que la mise en scène sur deux écrans tantôt liés, tantôt indépendants, du passage de l’image à la pesanteur organique, donnant à chaque élément projeté une complexité nouvelle et un mouvement sous-jacent perceptible jusque dans notre chair. « Tout est vraiment plein » nous est-il dit. Affirmation qui se vérifie avec une rare efficacité tant la vidéo foisonne de ramifications, détours et connexions inattendues, à la manière d’un récit polyphonique se résolvant dans sa propriété circulaire. Sans hiérarchie, il y est question de luttes, de résistance, de tentative de compréhension autant que de pièges tendus à l’attention pour faire dériver le réel vers le paysage possible d’une fuite organisée. Dans les détails, les incongruités de l’image, ce sont autant de sas d’évasion qui apparaissent pour mener la rationalité à son point de rupture, la possibilité poétique de réinvention de son point d’observation.
Les photographies qui accompagnent la vidéo représentent un Paris d’apparence suranné mais trahissant pourtant délibérément des éléments identifiables de notre temporalité contemporaine. Un modèle de voiture récent, des amas de poubelles propres à un épisode contemporain de grogne sociale. Cette conjugaison des apparences et de la durée participe à l’écriture unique de l’histoire par l’artiste qui, comme dans son film, fait s’écouler le temps autant qu’elle le remonte, fixant son objectif à la croisée des mondes, dans une géographie qui excède les continents.