Ceramix — La maison rouge
Avec Ceramix, la maison rouge se propose d’explorer le médium céramique et de saisir les multiples facettes de son utilisation dans l’art. Dans un double parcours mené conjointement avec la Cité de la céramique de Sèvres, la maison rouge présente une exposition autonome qui couvre les pans de la création du XIXe siècle jusqu’à sa formalisation contemporaine.
Exhibition : Ceramix — De Rodin à Schütte from March 9 to June 5, 2016. Learn more À travers une progression historique puis thématique, la question de la céramique se pose avec une belle acuité dès l’accueil de l’exposition où l’accrochage des languettes de Piet Stockmans rappelle la légèreté et la plasticité du matériau, tout autant qu’il en découvre la chair, brûlée, obtenue par cuisson. En face, une palette de transport en céramique de Mai-Thu Perret vient déjouer la fragilité du matériau et les attendus de son utilisation ornementale traditionnelle pour devenir médium d’expression à part entière. Une double perspective qui va hanter Ceramix, une exposition placée sous le signe de l’inattendu.Cette entrée en matière symbolique donne ainsi le ton d’un parcours convaincant qui honore son sujet, avec une première partie, aussi belle que sobre, centrée sur les premières utilisations par les artistes classiques de la céramique, notamment avec la série de masques de Jean Carriès, d’une expressivité folle qui, en s’inspirant de la culture du théâtre japonais autant que des motifs de l’art occidental, offre une galerie de visages hypnotisants qui oscillent entre frayeur et hilarité. Émotions, traditions et techniques achoppent ainsi conjointement à travers la réappropriation d’un procédé de création qui va permettre à de nombreux artistes de repenser leur rapport à la matière, à la couleur. Passé ainsi le monumental et grave visage de Balzac par Rodin, le théâtre bleu électrique de Raoul Dufy se voit incarné dans l’espace à travers de très belles pièces qui font écho aux œuvres de Picasso, qui détourne lui la sculpture pour offrir grâce à la céramique un geste nouveau, semblable à un dessin de matière.
Car la céramique comporte en son essence un geste créatif singulier où l’idée semble se transposer directement dans l’espace, figeant dans sa forme finale le modelé d’une souplesse nécessaire à son travail sachant jouer des apparences avec la réactivation du médium dans les années 60 et 70 par le mouvement « Funk ». Clairement audacieuse, cette grande part accordée à cet ensemble d’œuvres ne convainc pas forcément et laisse pour le moins circonspect, même si la scénographie intelligente et son utilisation judicieuse de socles en polystyrène du plus bel effet témoigne d’un véritable souci du détail. Une mise en avant d’autant plus cruelle que l’exploration du thème d’Eros et Thanatos, qu’elle précède, nous transporte avec fulgurance au cœur d’une des plus riches facettes de la céramique. Dans un blanc immaculé, sa brillance, sa plasticité originelle et sa fragilité secrète se prêtent parfaitement à la représentation du vivant, au désir comme à la peur de la chair. Autour du majestueux totem polysexué d’Elmar Trenkwalder s’exposent ainsi les superbes viscères de Rachel Kneebone et les fleurs sensuelles de Johan Creten qui rendent le désir palpable et donnent un corps contondant au fantasme. C’est ici que l’on comprend le mieux le rapport à la citation de Gauguin, en exergue du catalogue, pour qui le caractère de la céramique est le « sentiment du grand feu », concrètement et métaphoriquement brûlant dans cette mise en perspective réussie.
D’autant plus que suivent, subtilement accolées à la fougue érotique de ces pièces, les œuvres de Rachel Labastie, des chaînes sculptées et pendues au mur, qui, elles, emprisonnent les corps et détournent le matériau porcelaine, ce marqueur social symbolique, pour produire un outil de contention tout aussi lié aux codes qui régissent nos sociétés. Un renversement de la préciosité et des repères que vient prolonger Bita Fayyazi et sa terrible installation d’une invasion de cafards géants, mêlant le dégoût légendaire des êtres humains pour ces insectes à l’instrument traditionnel du raffinement.
Cette question se retrouve avec acuité dans les salles monographiques qui font respirer ce parcours, avec les présentations réussies de Johan Creten et Thomas Schütte, figures incontournables de la céramique contemporaine. Les femmes et formes lascives de ce dernier ornent ainsi de merveilleuses étagères qui évoquent ce rapport à la chair, au plaisir de façonner de ses mains une matière qui s’immisce, avant son réchauffement, jusque dans les pores de son créateur. Aux murs, les blocs de céramique rejouent des toiles classiques en épurant les portraits et autres natures mortes pour inventer une nouvelle utilisation de la matière, aussi aérienne dans sa retenue (quelques lignes pour figurer un visage) que pesant de tout leur poids sur les cimaises de la maison rouge. Johan Creten, lui, implique tout autant de délice plastique dans une sélection d’œuvres qui témoigne de la diversité de sa pratique, depuis les formes sculpturales d’une précision redoutable à l’abstraction la plus pure. Peut-être plus qu’ailleurs, le jeu sur la sensualité du matériau, son rapport immédiat à la sexualité permet à l’artiste d’aborder, à travers l’intelligence de la main, des questions qui débordent le champ de l’art pour laisser émerger une réflexion sociale, singulière et onirique sur le monde.
Une modernité inattendue pour un médium qui porte précisément en lui une ambivalence de ce souci « décoratif », que l’accumulation et la diversité ont propulsé aujourd’hui dans le purgatoire du kitsch, abordé dans la dernière salle du parcours. Les figurines traditionnelles, bibelots, vaisselles et autres souvenirs se voient intégrés à un carnaval des horreurs où monstres, animaux et chimères côtoient les princesses tatouées et décapitées de Jessica Harrison.
Si cette confrontation directe et jouissive arrive un peu tard, elle garantit une fin tout en grandiloquence à un parcours dont la sobriété et la maîtrise font honneur à la céramique et ce, même si l’on peut déplorer, tant la maison rouge a su habituer ses fidèles à des expositions bouillonnantes, un léger manque d’œuvres contemporaines qui aurait pu finir de convaincre de la possibilité infinie de son appropriation. Pour autant, le parcours jumelé avec celui présenté à la Cité de la céramique de Sèvres constitue à n’en pas douter une respiration heureuse et audacieuse qui, dans sa diversité assumée, témoigne d’une insoupçonnable vivacité, un feu qui a soufflé sur le monde de l’art et qu’il appartiendra aux nouvelles générations, à leur tour, de perpétrer.