Claire Tabouret — Galerie Almine Rech
Depuis quelques années, Claire Tabouret fait vibrer les cimaises de ses toiles fragiles où la délicatesse de son regard affronte le grand vide de la mélancolie, du spleen et des terreurs d’une société qui isole l’individu dans son fantasme de liberté. Un regard essentiel que l’on retrouve dans sa première exposition à la galerie Almine Rech, I Am Crying Because You Are Not Crying du 8 septembre au 6 octobre.
Claire Tabouret — I am crying because you are not crying @ Almine Rech Gallery from September 8 to October 6, 2018. Learn more Le visage, source fondamentale de ses toiles cache pourtant bien souvent un regard vide, dépouillé de toute émotion sensible pour se faire vecteur d’un sentiment qui le dépasse, l’englobe et nous fixe à mesure que l’on s’y confronte. Miroir de mondes qui s’affrontent le temps d’une exposition, la peinture frontale de Claire Tabouret nous renvoie à un imaginaire qui n’a cessé, depuis ses premiers travaux, d’explorer de nouveaux champs, des latitudes sociales et esthétiques diverses qui portent toujours ce souffle de première fois, largement symbolisée par la figure récurrente de l’enfant.Dans cette nouvelle exposition à la galerie Almine Rech, le spectateur se retrouve projeté littéralement au milieu d’une arène où la lutte, inversée, se joue tout autour de lui. Un premier jeu sur le regardeur-regardé qui se retrouve témoin d’une lutte intime que la peintre nous renvoie presque comme du voyeurisme. Pour autant, rapidement ces tribunes expressives se meuvent en ornementations mythologiques arrimées comme autant d’épisodes glorieux d’un combat mythologique au sein d’un autel de la bataille. À travers la lutte, les corps s’arrachent pour maintenir leur centre de gravité et toute la tension nécessaire à cette réussite se lit dans des postures sur le fil du déséquilibre, sur les mêmes figures renversées qui jouxtent ses fonds, fantômes d’une victoire ou défaite nécessaire à venir. C’est ainsi ici la question du temps, la temporalité lasse qui coule et fluctue dans la peinture de Tabouret, se refusant à figer le présent pour l’emmener dans un flux continu.
Car l’onirisme et l’introspection propres à l’univers de Claire Tabouret ne doivent cependant pas occulter l’acuité de son regard sur le monde. Pop culture, actualité et société résonnent toujours dans l’univers qu’elle tisse au fil de portraits qui n’ont rien d’une échappatoire mais au contraire ouvrent des voies de traverse diaboliquement précises dans la complexité des sentiments.
Par la mise en scène de corps qui ne reflètent pas particulièrement l’idéal athlétique, Claire Tabouret accentue la violence sourde des masses, le combat banal et séculaire du « conflit » quotidien. Ces corps, ce sont les nôtres, leur donnant une réalité concrète qui renverserait presque la perspective et ferait des amours, des relations sociales, les allégories de ces luttes primales et essentielles. Explorant les formes et les attendus d’un tel exercice, Tabouret se place plus encore dans une variation qui ne cache pas son ambition de relire les questions de domination : masculin et féminin tout d’abord avec la figure traditionnelle d’un amour hétérosexuel qui charrie, dans la culture, cette notion de lutte, contre l’autre comme contre sa propre « nature ». De la Dora Maar de Picasso représentée dans Femme qui pleure à l’origine de cette série, Claire Tabouret oppose une variation d’images de tensions qui emmêle les sexualités, les rapports de pouvoir et les forces entre des protagonistes désormais « acteurs » et victimes des soubresauts de la volonté d’un autre.
Sans pour autant s’extraire et s’abstraire du tourment, Claire Tabouret instille dans cette intimité un déchirement que trahit sans complaisance la lamentation de son titre tout en accentuant sa dimension pathétique. Un jeu d’équilibriste qui, là encore, touche juste et invite à un voyage sensible et ambigu. Mais définitivement, c’est l’intelligence plastique du trait, la capacité de l’œil de Claire Tabouret à travailler le négatif, occultant autant qu’elle révèle des arrière-plan tortueux où la trace et le mouvement participent d’une émotion profonde.