Entretien — Camille Henrot
Exposée cette rentrée chez Kamel Mennour et à Rosascape, Camille Henrot développe un travail autour des fleurs et de ses lectures réifiées en ikebanas.
Comment est né le projet de cette exposition « Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs » ?
Camille Henrot — Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? @ Kamel Mennour Gallery from September 6 to October 6, 2012. Learn more C’est un travail réalisé dans la continuité de la Triennale, Intense Proximité, et qui se déroule sur deux ans. Comme souvent, le point de départ est un désir de concilier des opposés et de mettre en défaut des catégories. Je pense à la dichotomie entre la conception du sacré dans la vie quotidienne orientale et la hiérarchisation extrême dans le monde occidental qui place l’intellect au-dessus. Je trouvais intéressant d’articuler un projet via les fleurs à la fois banales et naturelles, mais aussi objets sophistiqués dans le sens où elles sont souvent nommées en rapport avec la mythologie ou la littérature. Le lien entre les fleurs et le texte est très ancien dans la culture occidentale, même si les choses semblent appartenir à des registres symboliques, sémantiques et hiérarchiques différents.Y a-t-il une tradition de l’ikebana dans l’histoire de l’art ?
Oui, car dès les années 1950, Sofu Teshigahara, créateur de L’École Sogetsu, avait entamé des relations avec Pablo Picasso, Joan Miró, puis John Cage. J’étais d’ailleurs assez encouragée dans mon projet par la lecture du journal de ce dernier et la biographie écrite par William Anastasi, qui collabora avec lui. L’idée développée est de réaliser des œuvres dont on doit s’occuper et de ménager dans sa vie un espace de méditation, hors du temps de travail. Kafka a écrit que la littérature était un espace hors du champ des meurtriers… L’ikebana est une pratique liée au bouddhisme qui a vocation à créer un environnement hors du temps historique et de l’accélération de l’action. Comme pour mon travail réalisé sur le yoga et les martyres chrétiennes, c’est une manière de réfléchir à comment la pensée orientale est aujourd’hui intégrée dans notre monde et quels paradoxes elle pose.
Comment s’est fait le choix des livres ?
J’envisage ici des questionnements globaux et collectifs aux travers de problématiques subjectives. Il y a donc Psychologie et Orientalisme de Jung, À rebours de Huysmans, le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem, Journal : comment rendre le monde meilleur (on ne fait qu’aggraver les choses) de John Cage, Le Mont analogue de René Daumal, Le Léninisme sous Lénine de Marcel Liebman ou Robinson Crusoé de Daniel Defoe, qui est un énorme ikebana. Ce sont plus ou moins des livres dont les auteurs portent un regard éthique sur le monde, tout en le prenant à bras le corps. Ils décident d’une méthode pour réfléchir à la subjectivité et laissent leurs obsessions se développer. Je pense à Jung en particulier, mais aussi à Gaston Bachelard ou Roland Barthes dont la pensée s’enracine toujours dans une intuition ou une émotion subjective, voire fantasmatique. D’ailleurs le titre montre comment peuvent cohabiter une préoccupation politique et une forme de réflexion méditative, de réclusion en soi.