Interview Pierre Seinturier
La galerie GP & N Vallois organisait depuis le 05 mars une exposition personnelle du peintre Pierre Seinturier qui y dévoile une œuvre monde où architectures et figures humaines émergent d’une nature vibrante qui impose son rythme et sa lumière dans l’espace. Nous revenons avec lui sur cette nouvelle série et sur son œuvre, marqué par une pratique essentielle du dessin qui nourrit son rapport à la composition.
Guillaume Benoit : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et l’origine de votre pratique ?
« Pierre Seinturier — The Little House they used to Live in », Galerie G-P & N Vallois du 5 mars au 10 avril 2021. En savoir plus Pierre Seinturier : Je suis passé par les Arts-Déco. Plus jeune, je voulais faire de la bande-dessinée, j’ai essayé et j’ai eu du mal à tenir le rythme et me consacrer entièrement à ce travail de longue haleine je dessine pour le plaisir de composer des images ou remplir mes carnets. Ce que je retiens de la bande-dessinée c’est sa capacité à produire des images lisibles très rapidement, tout comme dans la publicité, ce sont des choses qui m’ont marqué que l’on peut retrouver dans mes compositions.Cette diversité est un reflet de vos influences en termes de peinture, quelles figures continuent de vous marquer ?
Munch notamment, j’aime Matisse aussi, Peter Doig, et quelqu’un dont on parle peu, l’artiste suédois Jockum Nordström (à l’affiche d’une rétrospective en 2013 au LAM Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut NDLR), David Hockney, Raymond Pettibon ou encore Philip Guston et ses derniers travaux…
Les titres de vos œuvres sont évocateurs, toujours en rapport avec quelque chose qui préexiste.
Ce sont souvent des musiques, des extraits de films, sans distinction de genres. Tout comme je regarde souvent les mêmes films, comme une sorte de routine. Je me suis constitué une bibliothèque de films et me suis mis à tout revoir, développant une familiarité avec eux, à réaliser des captures d’écrans quand un passage pouvait se révéler intéressant ; soit dans la lumière, les postures des personnages, les décors, etc., créant ainsi une banque d’images à partir de laquelle je me basais pour dessiner dans mes carnets.
Avec votre travail, on est effectivement toujours « entre », comme à mi-chemin entre un avant et un après…
Oui, est-ce que la vérité va être découverte ou pas ? Je pense au film Blow Up qui est vraiment très intéressant ; j’aime particulièrement ce temps long sur un personnage, qu’on suit dans une quête (vaine ?) de vérité, à la recherche d’une preuve tangible quelconque… Ces derniers temps, je fais un peu moins de screenshots et plus de photos.
La photographie a une grande importance chez vous.
Oui, j’utilise en ce moment un vieil appareil argentique (canon AE1) qui me permet de prendre des « notes » en photo. J’aime ça avec la photographie, être aux aguets et, même lors d’une promenade, être attentif. Il y a ainsi un peu de tout dans cette nouvelle série, des bouts de photos, des croquis, des assemblages, des souvenirs réinventés…
Justement, que voit-on dans cette nouvelle série ?
Certains tableaux peuvent être des reprises de photographies existantes, à l’image d’une reprise de la demeure présente dans le booklet de l’album Abbey Road des Beatles, à peu près inchangée et à laquelle j’ajoute un personnage. Les autres sont nés de rencontres avec des lieux divers, des maisons de vacances… Pour cette exposition, j’ai réalisé des croquis préparatoires assez poussés, comme une forme de commande que je me serais passée à moi-même. En passant ensuite par le dessin petit format, je sais parfaitement quel effet je vais rendre, avec telle vue, telle perspective, quels personnages seront présents ; chacun des éléments étant toujours exécuté plusieurs fois. Et on retrouve, une fois stabilisé sur petit format, un véritable plaisir en réalisant la toile.
Le dessin garde donc une part importante ?
C’est effectivement l’essentiel de mon travail ; pour en revenir fondamentalement à ma pratique, il s’agit vraiment d’être assis à un bureau, d’écouter de la musique et de faire des dessins avec un stylo. C’est ma pratique quotidienne. Chaque nouvelle technique de peinture réveille une nouvelle sensation, un nouveau genre de plaisir et retrouver celui, primaire, de tracer simplement quelque chose. À l’occasion de projets ou d’expositions comme c’est le cas ici, je saisis l’opportunité de revenir à ce type de format tableau.
On retrouve dans vos dessins la composition par strates.
Je pense que c’est l’influence du procédé d’imprimerie : en général, les couleurs arrivent en premier, se superposent couches après couches, puis le noir vient au final renforcer et contraster l’ensemble. En peinture, c’est l’inverse alors autant l’assumer sur cette série, où l’on observe du trait de dessin, du trait gratté et de la couleur ajoutée par-dessus.
Dans votre travail à la table de dessin, vous essayez-vous à d’autres genres et quel est le médium principal ?
Des fois j’expérimente vraiment. Il y a des choses bien plus abstraites. Le support n’importe que peu, carnet, feuille volante, un mélange de tout ce qui me passer entre les mains. Cela s’apparente à une pratique compulsive de remplir du papier, de dessiner sur tout ce qui se présente. C’est dur à expliquer, peut-être comme un musicien…
Dans ce cas, on pourrait apparenter votre pratique du dessin comme un musicien joue d’un instrument.
Oui, dessiner pour construire, pour mettre au point la composition pour la suite. En discutant avec les musiciens on se rend compte des similitudes, même dans le vocabulaire, on partage les gammes chromatiques, les tons… Je ne l’ai jamais vraiment conceptualisé de la sorte mais il y a une proximité dans la pratique. En effet, il faut imaginer que je m’empare d’images et que je les décline sous différents angles. C’est ce qui me parle en musique quand on pense à quelqu’un qui déchiffre un morceau, le rejoue immédiatement et se l’approprie.
Il y a en tout cas quelque chose dans la temporalité, dans le rythme de vos peintures qui rejoint la question de la cadence. Même dans le trait, dans votre végétation par exemple, on pourrait voir une rythmique du coup de pinceau. La réalisation s’éclaire dans le geste ou est-elle vraiment pensée avant ?
C’est particulièrement lié à l’outil que j’utilise. En quelque sorte, un outil fait naître un élément. Un geste naît donc d’un outil. On peut voir par exemple sur un même tableau des essais qui n’aboutissent pas sous la dernière couche. En les faisant, je découvre comment mieux exploiter le format de mes tableaux. À mes yeux, le format doit toujours être rempli d’une manière qui convienne à mes attentes, à ce que j’estime constituer une image « finie », que j’aimerais encore regarder dans quelques temps. C’est une question de sensibilité personnelle bien sûr et il y a des moments où l’ensemble d’une série de peintures n’est pas satisfaisant de mon point de vue. Il me faut alors rééquilibrer, harmoniser l’ensemble visuellement jusqu’à atteindre ce moment où le temps passé à travailler et à « m’amuser » sur les traits met à niveau les différentes peintures et leur donne leur cohérence.
Les titres en anglais évoquent pourtant la possibilité de fiction, d’un ailleurs dont on peut se demander s’il ne serait finalement pas le fil qui les relierait ?
Toute la série se trouve rassemblée pendant des mois à l’atelier et, au final, les toiles peuvent reprendre les mêmes thèmes. Elles se chevauchent un peu et se répondent mais on n’est pas dans une narration. C’est assez gratuit parfois. Le fil, en définitive, c’est la pratique, ce sont toutes les autres œuvres produites antérieurement et celles qui restent à faire.