Pierre Seinturier — Galerie GP & N Vallois
La galerie GP & N Vallois nous invite à nous laisser happer par les vertiges de la figuration sauvage de Pierre Seinturier au sein de son exposition personnelle, suspendue pour le moment, The Little House they used to Live in qui, derrière la richesse et la prolixité de son univers, use de son hermétisme apparent pour mieux nous saisir et ancrer ainsi son imaginaire au nôtre, jusqu’à nous y fondre.
Entre la narration et le cheminement en compagnonnage, rencontrer l’œuvre de Pierre Seinturier c’est ainsi s’aventurer sur une étrange voie de partage, portée par une puissance et une personnalité affirmées, capables tout à la fois de nous ménager une place, celle de témoin d’un monde peuplé de personnages distincts et brouillant pourtant les limites de notre propre horizon.
Le déclic et la détente, deux termes que tout oppose se rencontrent pourtant dans le cas de l’armement de l’appareil photographique, dont l’usage a largement participé à la fabrication des images présentées au long de ce nouveau parcours à la galerie GP & N Vallois. Une analogie loin d’être innocente quand on prend connaissance de ces nouveaux tableaux qui marient, à travers les collages, mélanges et créations qui leur ont donné naissance. Derrière sa table de dessin, d’où tout prend toujours forme avec Pierre Seinturier, s’active une tension palpable entre réalité et invention.
Les lignes de fuite, les perspectives qui s’y déploient deviennent des balises qui cadrent à leur tour l’invention plastique de son imaginaire dont la structure, assurée, peut se permettre des arabesques de contrastes qui accentuent le débord de ses contre-plongées picturales. Métaphoriques, ces perspectives deviennent aussi la possible réalisation de ces actions suspendues où l’on semble toujours flotter entre un avant et un après qui détournent la temporalité et nous laissent aux prises avec ce moment « décisif », dont il nous appartient de saisir l’origine et le développement possible.
Les strates, l’empilement des couches qui relèvent à chaque fois l’horizon et noient encore plus les postures des personnages, souvent obliques, laissant entrevoir une altération du sens ; le corps à l’agonie, fauché par un coup de feu encore fumant de la bouche du canon pourrait tout aussi bien se pâmer, le personnage s’affairant à abattre un tronc d’arbre pourrait tout aussi bien être en train de le pleurer. Tandis qu’on ne sait si la lumière du jour s’élève vers les nues ou se meurt lentement dans le ciel. Une narration en transparence redoublée par des titres empruntés, entre autres, à des morceaux de musique (avec un jeu de piste passionnant où se croisent ici, nous semble-t-il, JJ Cale, Gregg Allman, Leonard Cohen, Merle Haggard…) qui transpirent la mélancolie rock 70’s propice à un romantisme ethéré conscient de sa propre ambiguïté.
La notion de narration n’est pas accessoire même si elle n’est pas à entendre ici dans un ses traditionnel ; le lien s’opère ici dans le rythme de « moments » tirant comme en trompe-l’oeil vers l’évidence de l’illustration pour laisser émerger, dans un second temps, la pénétration dans l’allégorie. Chaque composition charrie en effet autant d’indices de son appartenance à un ensemble (couleurs, motifs, silhouettes se répondent, se répètent) que de sutures indiquant leur possible vie autonome. À l’échelle de l’imaginaire, on pourrait lire chacune d’entre elles comme l’illustration de « couverture » d’une somme d’aventures qui auraient déjà pris place en marge de celle qui la jouxte. D’où alors cette familiarité, cette consanguinité entre les pièces d’une série déjouant toute réduction d’une évolution chronologique ; les événements qui s’y déroulent inventent en quelque sorte chaque fois leur propre temporalité.
En cela, la peinture de Pierre Seinturier porte en elle la conjonction de dynamiques emmêlées tout entières tenues dans l’espace de la toile, où les courants de l’imaginaire se heurtent aux limites imposées par la surface, où la vérité de la perspective s’enrichit de l’intensité des mouvements dictés par une nature qui se joue des corps, où la pratique même du dessin, le plaisir du trait devient une dimension structurante de la réalité que la toile embrasse. En négatif donc, les êtres que l’on y rencontre se perçoivent poétiquement comme des substrats de la nature, des figures reliquats formées seulement « par » le dégagement de la peinture alentour qui les porte en elle comme elle contient et nourrit toute forme de vie qui l’habite.
Une construction par strates, aussi bien formelle que vibratoire, où la force de gravité dirigeant le pinceau (et la mine des feutres à l’origine des croquis préparatoires), où les battements de mesure de la musique accompagnant la pratique de l’artiste forcément « compulsive » — ne l’imaginerait-on pas même « convulsive » ? — ont autant de réalité dans le résultat final que la scène qui s’y joue.
Cette accumulation de principes directeurs, d’ordres nécessaires semble alors élever chaque fois la ligne d’horizon jusqu’à nous faire vivre le vertige d’un point de fuite lui-même sans cesse en perdition. Et si les diagonales, les angles sont marqués, impactés et soulignés, cela ne contribue qu’à mieux nous inviter à glisser, d’une dimension l’autre, au gré des vérités forcément multiples qui font de ces figurants des reflets de notre propre statut de voyeur et de nous la pièce finale à la mécanique qui donnera vie à ces paysages magnétiques.