Julien Berthier, note de Paris — Vallois@home
En collaboration avec la galerie GP & N Vallois, Slash accueille le projet en ligne Vallois@Home qui ouvre depuis plusieurs semaines une fenêtre sur les artistes qu’elle défend et invite à développer une nouvelle lecture des enjeux de leur création en un temps qui met à l’épreuve les corps et les volontés. Julien Berthier nous adresse un plaidoyer pour un art libre qui pense l’intégration du lien et de l’expérience dans la cité.
Note de Paris :
« Une partie importante de mon travail se place dans un angle mort, là où personne ne regarde vraiment, et il est suffisamment discret, et d’une certaine façon, bienveillant, pour rester une fois qu’il existe. Je dirais aussi qu’il m’arrive d’employer l’illégalité comme moyen mais que cette illégalité n’est jamais le sujet du travail. Il en est un constituant. Je fais les choses parce qu’elles doivent être faites, sans réellement me soucier de savoir si c’est légal ou non (notion qui d’ailleurs a de grandes chances d’être différente dans 15 ans).
Aussi je préviens tout de suite : je travaille également avec des galeries et parfois pour de grandes manifestations où l’art dans l’espace public est lié au pouvoir et a pour but le tourisme de masse. Cela ne me semble en rien contradictoire. Il n’y a presque pas de mauvais contexte, il n’y a que des mauvaises réponses.
Quel que soit l’endroit, je veux que mon travail s’insère dans le monde et qu’il engage avec lui des pourparlers. Mel Bochner parlait de la différence entre un “art déclaratif” et un “art événementiel”, entre l’art “comme déclaration sur le monde” et l’art “comme événement dans le monde”. Évidemment je veux me ranger le plus souvent possible dans cette seconde catégorie. Et pour cela il m’arrive en effet de travailler dehors et de rajouter des objets sans qu’on m’ait demandé de le faire, ce qui est sans doute en soit subversif. (…)
L’art ne doit pas donner la leçon. Il doit complexifier le réel plutôt que de le simplifier.
Mon travail doit prendre les traits du réel pour mieux s’y insérer, mais avec un léger décalage pour que les œuvres soient à la fois intégrées (c’est-à-dire identifiables et capables d’être entendues) et dissonantes (c’est-à-dire étrangement différentes et dont le propos vient mettre en débat l’opinion dominante).
Notre environnement est parsemé de systèmes dissuasifs qui cherchent à résoudre en aval les difficultés qui se posent dans la ville. On répond par exemple au problème de la présence des clochards dans le métro en installant des bancs sur lesquels il est impossible de s’allonger voire de s’asseoir. On a déplacé la question des choix urbanistiques dans le champ de compétences des techniciens, comme si le politique n’avait plus son mot à dire ou comme s’il se délestait des maux qui lui incombent sur des spécialistes et des objets.
Encore étudiant j’avais fait un dessin qui stipulait : “Ne pas laisser le monde aux mains des spécialistes”. Je ne savais pas encore que ce serait à ce point programmatique d’une si grande partie de mon travail. »
Julien Berthier
Extraits du texte L’angle mort, Julien Berthier, février 2020
Retrouvez ici la page de l’artiste sur le site de la galerie GP & N Vallois