Les Bains, résidence artistique éphémère
En 128 ans de vie, le lieu mythique des Bains est vacant pour la première fois. Successivement Bains Douches sulfureux où se rendait Marcel Proust, puis boîte de nuit ouverte en 1978, l’immeuble s’apprête d’ici 2014 à devenir un hôtel. Mais avant l’ouverture et les travaux, 40 artistes investissent ses entrailles, invités par la galeriste Madga Danysz, commissaire de l’événement. Rencontre.
Comment est née l’idée de transformer une boîte de nuit en résidence artistique ?
« Les Bains / Résidence d’artistes — Photo Show », Galerie Magda Danysz du 22 juin au 27 juillet 2013. En savoir plus L’idée est née du propriétaire Jean-Pierre Marois. Il m’a appelée et fait cette demande incongrue. Il avait une intuition mais ni budget, ni idée précise de là où il voulait aller. Je dirais que la précision est venue par la suite et que c‘est un « projet à l’envers ». Et j’ai découvert quelqu’un qui est amoureux de son immeuble familial et qui en connaît l’histoire par cœur. il me fait donc successivement visiter l’ancienne boîte, le restaurant puis le reste de l’immeuble qui date de 1884 et dont l’histoire est étonnante. D’abord bains privés de la famille Guerbois, où Marcel Proust se rendait, puis boîte de nuit et salle de concert. Cet ADN « transpire » des murs. Et puis, au sous-sol, à la lumière de mon téléphone, je découvre des murs peints et me rappelle que se tenaient là dans les années 80 des expositions. Parmi ces murs, je décèle notamment un mur peint par Futura daté de 1985. Pour moi qui aime le Street Art, j’y retrouve le meilleur de cet artiste. Lorsque je finis la visite, je promets à Jean-Pierre Marois de demander aux artistes s’ils ont envie de cette aventure.Quelle scène artistique avez-vous décidé d’inviter ?
Le Street Art est un mouvement important dans l’histoire de l’art. Jean-Pierre Marois, le pense tout comme moi. Comme Basquiat et Keith Haring se rendaient souvent aux Bains lorsqu’ils venaient à paris, Jean-Pierre et moi avons eu envie de continuer l’histoire, d’illustrer une scène urbaine dans un prolongement. L’idée fut donc d’inviter les pionniers du Street Art en France et tous ceux qui ont formé la relève. J’ai pensé à Jay et Skki ainsi que Psy immédiatement. Ils sont les premiers à avoir importé le graffiti en France dans les années 80. Je me doutais qu’ils connaissaient le lieu. Ces trois-là ont vite accepté. Tout comme Vhils, artiste portugais de 25 ans qui fait du pochoir au marteau piqueur. Ou encore Sten Lex, deux jeunes artistes italiens qui travaillent à la croisée de la photographie et de l’art optique. Ils sont une quarantaine en tout, et sont réunies quatre générations d’artistes urbains. Sowat a en effet fait venir Jacques Villéglé qui n’a pas loin de 90 ans… Il est venu créer un mur et de sa craie a écrit « Nous sommes dans un lieu historique, silence ». Villéglé est souvent cité comme étant un artiste pionnier du Street Art, il représente dans un certain sens une pré-histoire du mouvement et il est là, il fait partie du projet, je trouve cela émouvant. De sa génération figure aussi Zlotykamien, très actif dans les années 70. Il se dégage de ce mariage des générations une réelle cohérence.
Pendant quatre mois les artistes se succèdent, puis tout disparaîtra, est-ce que la destruction fait partie du projet ?
Oui. Mais parlons plutôt de réhabilitation. Les murs qui existent ne seront en effet pas conservés et les œuvres ne seront pas gardées. C’est d’ailleurs pour ce goût de l’éphémère que les artistes ont accepté. Ils se sont « lâchés » car il n’y avait aucune contrainte de conservation. Thomas Canto a par exemple réalisé une œuvre en 3D, et a tout investi, du sol au plafond créant une illusion 3D époustouflante. Sambre a lui travaillé sur trois étages ! Il a enlevé latte par latte le parquet du 5ème étage, puis a fait un trou, passé ces lattes jusqu’au 4ème étage, et ainsi de suite avec les autres étages. Puis de ce trou, il a créé une sphère à l’apparence d’un soufflement. L’aspect éphémère du projet a probablement contribué à cette folle idée. Cela a donné lieu à des interventions libres et magiques car cela va disparaître. Pour une fois je ne suis pas galeriste, je fais un projet pour l’art. Sans vendre aucune œuvre. Je suis uniquement là pour donner envie de créer…
Pourquoi avoir choisi la résidence et non l’exposition ? Fermer les portes au public vous pose-t-il problème aujourd’hui ?
C’est une contrainte inhérente au lieu. Les portes ont été fermées par la préfecture. Je n’ai donc pas le droit de les ouvrir, puisque le lieu est en chantier. Les artistes eux-mêmes signent une décharge pour dire qu’ils sont conscients d’un certain danger. Je me suis bien sûr interrogée sur l’exploitation de 3000 mètres avec cette contrainte de l’interdiction de faire entrer des gens… Mais j’en suis venue à me dire que si les artistes sont enfermés et que le public n’a pas le droit d’entrer, nous sommes dans un cadre très clair de la résidence, du laboratoire. L’extérieur ne rentre pas pour que l’on y expérimente des choses. Beaucoup d’artistes en ont donc profité pour faire des vidéos. Mon métier est d’habitude d’ouvrir les portes, puisque je suis galeriste, alors évidemment je me suis dit qu’il était dommage que les gens ne voient pas le fruit de ce travail. Pour y remédier, j’ai eu l’idée du site internet sur lequel on publierait un artiste par jour. Le site, lui aussi, disparaîtra le jour où les travaux commenceront, c’est à dire, vers la mi-avril.
Certains artistes disent s’embourgeoiser en trouvant par ce projet une voie légale à leur création. Est-ce une tendance générale du Street Art que son institutionnalisation ?
C’est une question que l’on pose depuis 30 ans. Style Wars, le documentaire de 1983 signé T. Styler en parle très bien. Le film pose déjà cette question à travers les deux figures de Lady Pink et Lee. On ne demande pas à Michel Ange de rendre des comptes, pourquoi a-t-il fait des fresques dans la chapelle Sixtine mais aussi des dessins précis au fusain ? Les street artistes ont de même des envies diverses. Ils peuvent s’exprimer dehors comme en intérieur. Moi je ne suis pas artiste mais j’admire leur capacité à se démultiplier. Une institutionnalisation est possible dans la mesure où ils ont des choses à exprimer dans les musées. Ils se demandent très souvent pourquoi on veut absolument les laisser dehors.
Le Street Art, dans sa version indoor , reste-il encore du Street Art ?
La dénomination a toujours posé problème… Si vous lisez des ouvrages sur le cubisme, vous verrez que tous les cubistes n’étaient pas d’accord avec ce terme. Idem pour le Pop Art ou le Nouveau Réalisme. On est bien obligé de trouver un terme, celui-là s’est imposé. A quoi renvoit-il ? A une culture commune, un langage visuel, une énergie propre à un environnement urbain, lié à des gestes, des dimensions, des contrastes qui renvoient à une époque très urbaine.