Maude Maris — Galerie Isabelle Gounod
Pour cette nouvelle série, Les Grands Profils, présentée du 2 au 28 septembre, Maude Maris a fait le choix d’une véritable transformation de son langage pictural pour offrir une série d’une sublime simplicité, belle et audacieuse qui explore encore plus en profondeur les champs de sa recherche.
Maude MARIS — Les grands profils @ Isabelle Gounod Gallery from September 2 to 28, 2017. Learn more Si son vocabulaire est bien là avec ces montages de formes d’une abstraction éminemment suggestive où la matière, le poids et le volume semblent en faire autant de corps bien vivants, leur agencement et disposition dans l’espace obéit aujourd’hui à une toute autre logique que ses compositions présentées il y a deux ans à la galerie. L’artiste installait alors dans l’intimité de son atelier des décors éphémères qu’elle photographiait pour ensuite ressusciter dans ses peintures.C’est aujourd’hui dans l’intimité d’autres qu’elle se plonge, dans un temps révolu, au cœur de clichés réalisés au sein même des ateliers des sculpteurs Rodin, Brancusi ou Henry Moore. C’est que ces derniers entretenaient aussi, chacun à sa façon, un rapport créatif et fructueux avec la photographie. De ces images censées capturer le temps de la création précédant la monstration finale, la construction plutôt que l’aboutissement, la position plus que l’exposition, Maude Maris a isolé des détails, gommé des excès et recomposé, à travers le filtre des structures de plâtre qui peuplent ses œuvres, ces Grands Profils qui s’imposent d’emblée par leur verticalité.
Effaçant les traces, arasant les singularités, les recompositions de Maude Maris brouillent les pistes pour fuir le piège du portrait mental révélant l’essence de tel ou tel sculpteur dont elle capture un fragment d’histoire personnelle. Maude Maris s’empare bien plutôt de ces images secrètes pour les modeler et les intégrer à son monde, laisser émerger un catalogue de possibles comme autant de vignettes éparses dans leur composition, leur tonalité et leur lumière. Malgré leur diversité, chacune de ces œuvres s’affirme comme un portrait isolé des paysages mentaux de l’artiste.Moins oniriques mais tout aussi séduisantes, ses formes sont devenues figures. Une évolution fondamentale dans une démarche qui insuffle un courant de vie formidable et donne une prise émotionnelle nouvelle au regardeur presque « toisé » par ces amoncellements qui se maintiennent une stase ambiguë et délicieuse, à la frontière entre la douleur de la pose et la langueur du repos. Toutes ses toiles rejouent des figures de la statuaire classique en y apposant une dose certaine d’indécision qui les mue, lorsqu’on évoque sa série liée à Rodin, en hydres sensuelles magnifiées par les angles droits des étais qui en dirigent le déploiement majestueux. Dans Spindle et La Tortue, respectivement « empruntées » à Henry Moore et Brancusi, les ombres portées du monde deviennent des motifs qui donnent encore plus de corps à ses éléments habituellement représentés dans des univers éthérés. La grille réfléchie en négatif par l’ombre d’une barrière dessine plus qu’elle ne bloque l’accès, les ombres sont marquées entre les éléments et leur confèrent une pesanteur plus grande encore, offrant deux compositions qui font réellement « image ». Et c’est là toute la force de cette évolution d’une peintre qui prend le risque de repenser la matière même de son trait, abandonnant la parfaite planéité de sa peinture pour laisser émerger sa minéralité et les aspérités de sa confrontation avec la toile.
À partir d’une photographie qui la précède, d’un territoire dont elle ne peut faire l’expérience de la spatialité, Maude Maris reconstruit une profondeur, réinvente un dispositif tridimensionnel qu’elle aplatit de nouveau. Chargées de cette triple perspective, ses œuvres réactivent à nouveaux frais le jeu ambigu et fabuleux d’une artiste spectatrice qui s’empare d’une représentation qu’elle met en scène pour inventer une nouvelle image fixée mais toujours mouvante. Les trois plans de la photographie, de la sculpture et de la peinture y sont plus que jamais superposés en un équilibre précaire.
Trois strates indépendantes qui, pour tout regard auquel elles se confrontent, deviennent autant de plaques complémentaires mais glissantes. Autant de points de fuite menaçant d’ouvrir chaque fois l’abîme vertigineux de la question fondamentale portée par l’idée et l’acte mêmes de la représentation.