
Panorama 06/12
Gerhard Richter — Panorama •••
La rétrospective du Centre Pompidou consacrée au peintre allemand Gerhard Richter signe un commissariat remarquable et éclaire brillamment les variations d’un œuvre déchirant de subtilité, classique jusque dans l’abstraction. Une esthétique contemporaine par ses codes donc, mais dont la manière et l’esprit restent fidèles à un autre temps. Ou encore, une élégance immanente dont l’incarnation subtile serait celle d’une tradition implicite, intégrée, fondue dans la matière. Car l’accès à la modernité chez Richter se fait dans la perfection, maître mot du classicisme au XVIIème siècle. — L.C.-L. — Gerhard Richter, Panorama au centre Pompidou jusqu’au 24 septembre.
Clémence Torres — Dans le vide, l’horizon disparaît ••
Parois de verre, miroirs et mains courantes : Clémence Torres s’empare ici de la rhétorique de l’architecture. Servie par la densité et la précision des formes, son installation révèle toute la singularité du Palais de Tokyo. Une « construction du regard » méticuleuse va jusqu’à transformer la perception du site. Matériau brut et concept spatial se soutiennent l’un l’autre pour redéfinir les limites de la physicalité. La mobilité du corps est centrale ; l’artiste le scrute, l’arpente à la lumière d’un espace-temps malléable, questionnant l’inclusion du spectateur dans l’œuvre. Alors, l’intime affleure au gré d’interstices et de dispositifs spéculaires, et du métal jaillit la rumeur de la vie. — P.B.-H. — Clémence Torres au Palais de Tokyo jusqu’au 3 septembre.
Morgane Tschiember — Seuils ••
En recevant Morgane Tschiember, la fondation Ricard propose une entrée subtile et réussie dans l’œuvre de cette artiste éclectique qui revisite l’histoire des formes et des matières. Le parti pris de la sobriété adopté ici par la commissaire d’exposition Claire Moulène permet ainsi de mesurer la force de pièces capables d’habiter l’espace avec une rare cohérence. — G.B. — Morgane Tschiember — Seuils à la fondation Ricard jusqu’au 7 juillet.
Ellsworth Kelly ••
Pour exposer Ellsworth Kelly, nul besoin d’en rajouter. C’est, semble-t-il le parti pris de la galerie Marian Goodman qui, dans cette exposition du maître, a choisi de limiter l’accrochage à quatre œuvres, quatre éléments d’une installation réalisée cette année. Et, à 88 ans, Ellsworth Kelly parait plus que jamais ancré dans sa radicalité. Quatre toiles, cinq couleurs comme un manifeste. Vert, jaune, rouge, bleu et surtout blanc, cette base de toutes les courbes qu’il met en scène. Derrière la sobriété et le minimalisme d’une série de monochromes pointe la stupéfiante décontraction d’un artiste libre qui invente ses évidences. — G.B. — Ellsworth Kelly à la galerie Marian Goodman jusqu’au 13 juillet.
Wim Delvoye ••
Subversion ? À peine. Provocation ? Plus du tout. Wim Delvoye s’est indéniablement assagi. Voire embourgeoisé. Pour preuve, ses cochons tatoués sont ici rhabillés et parés de soie. À se demander même si contrepoint contemporain il y a, tant son détournement fait illusion et se camoufle si bien dans cet environnement précieux. Sa chapelle en acier corten dans la salle d’Anne de Bretagne, semble en effet d’origine. Les touristes admireront son style gothique composite, au même titre et avec le même sérieux que les antiquités du département égyptien. De même que ses porcelaines, même anamorphosées (en torsion) s’accordent parfaitement avec les statuettes de la section des Objets d’art. Wim Delvoye, avec le temps, se fond à merveille dans cet académisme. Et tant pis si l’ironie est perdue, une lecture au premier degré de son travail est désormais possible. Et c’est heureux. — L.C.-L. — Wim Delvoye au musée du Louvre jusqu’au 17 septembre.
Anri Sala •••
L’artiste albanais, qui représentera la France à la prochaine Biennale de Venise, occupe magistralement la galerie sud du Centre Pompidou avec un ensemble de pièces — films, photographies, objets — dont la musique constitue le fil rouge. En compositeur, Anri Sala a découpé quatre de ses films réalisés entre 2008 et 2011, et les a “remixés” afin d’en extraire douze séquences montrées alternativement sur cinq écrans, projections et spatialisation des sons rythmant et aiguillant les déambulations du visiteur selon un cycle d’une heure mis en boucle. — A.-L.V. — Anri Sala au Centre Pompidou jusqu’au 6 août 2012.
Paolo Pellegrin •
Paolo Pellegrin a une préférence pour les photographies non finies. Celles qui ouvrent des chemins par la suggestion, le flou ou les forts contrastes qui confinent parfois à une forme d’abstraction. Les sujets sont graves, les corps décharnés, mais dans ces conflits meurtriers, son oeil compose, fait tableau. Il y a dans cette recherche de pureté formelle sur le terrain, une forme d’élégante audace. Cette première rétrospective de taille en France, intronise le courage d’un photographe qui tire de l’horreur de sublimes images. Où, l’informe trouve forme, sans solennité, sans esthétisme forcé et informe, tout simplement. — L.C.-L. — Paolo Pellegrin, Dies Irae à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 17 juin.
Renaud Auguste-Dormeuil ••
Avant l’humour, avant l’intelligence, il y a, chez Renaud Auguste-Dormeuil, la prégnance de l’espace, cette vertu qu’a la surface de cacher en elle la possibilité de son dépassement autant que sa nature carcérale, limitant les sujets qui s’y posent à ses propres frontières autant qu’elle invente ses propres lois. En d’autres termes, chez Renaud Auguste-Dormeuil, chaque cadre, chaque œuvre est une nation. Une évolution à l’œuvre dans le très bel accrochage de la galerie In Situ, I Was There, qui, au long de quatre séries, réaffirme à quel point la création de l’artiste est aussi bien une forme de mise en spectacle qui en altère le sens mais plus encore une œuvre éminemment politique, c’est-à-dire entée dans la « polis », observant et se basant sur la cité comme terrain de jeu d’actes (et de représentations d’actes) à déchiffrer. — G.B. — Renaud Auguste-Dormeuil à la galerie In Situ jusqu’au 16 juin.
Ciprian Muresan ••
Récemment exposé au Frac Champagne-Ardenne, l’artiste roumain s’approprie et détourne des œuvres artistiques et littéraires à des fins critiques, révélant tout en le dénonçant le caractère consensuel d’une société du spectacle globalisée, marquée par la fin des utopies et le conditionnement des idéologies. Dans cette exposition à la fois modeste et puissante, Le Portrait de Bas Jan Ader, une série de 78 dessins représentant l’artiste hollandais, exposés et animés dans une vidéo, côtoient la vidéo Praxis of Starvation, dans laquelle plusieurs personnes témoignent de leur expérience de privation de nourriture. — A.-L. V. — Ciprian Muresan à la galerie Hussenot, jusqu’au 20 juin 2012.
La Triennale, Intense Proximité •••
Formidable initiative que d’avoir repensé en profondeur les bases de la Triennale parisienne. Exit la Force de l’art pour retrouver, dans la subtilité et l’intelligence, une véritable ambition face à l’art, dans son engagement comme dans sa capacité à engager le regard. Dans ce parcours foisonnant, inattendu et inventif, c’est une cartographie des rapports humains qui se fait jour, jouant de la distance autant que du rapprochement. Sans jamais tomber dans une idéologie de façade et profitant de l’éclectisme formel et générationnel de ses participants, Intense Proximité repense la place de l’art dans la société en même temps qu’elle en découvre la fabuleuse vertu réflexive. — G.B. — La Triennale, Intense Proximité au Palais de Tokyo jusqu’au 26 août 2012.
Christopher Wool ••
Judicieuse idée que cette sélection resserrée sur le très récent travail de l’artiste, la trentaine de toiles offrant ainsi une puissante cohérence. Le parcours déroule dès lors une création pensée et campe un temps particulier, infiniment dense dans sa qualité réflexive. Recherche incessante, exploration en puissance, son œuvre se conjugue au présent. Le procédé du double cadre l’illustre bien ; Wool trace souvent une marge nette censée contenir sa création, mais il l’outrepasse, systématiquement. La limite qu’il se fixe n’existant que pour être transcendée. Est-ce une façon d’être à la fois à l’extérieur de son œuvre et en son sein dans un même mouvement ? Difficile de ne pas lui prêter en tout cas cette envie d’exprimer physiquement le recul conceptuel qu’il a sur son travail et son besoin constant d’en analyser les effets. Éprouvant, dans le bon sens du terme. — L.C.-L. — Christopher Wool, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris jusqu’au 29 août 2012.
Beauté animale •
Quelques très belles œuvres peinent à sauver des eaux cette exposition au thème prometteur mais somme toute assez décevante. Les cartels versant dans l’excès pédagogique rappellent discrètement et en creux la nécessité de proposer de temps à autres des parcours grand public. Mais faut-il en oublier pour autant la dimension artistique et confondre l’exercice avec un exposé de sciences naturelles ? — L.C.L — Beauté animale, aux Galeries nationales du Grand Palais du 21 mars au 16 juillet.
Helmut Newton •
Contre toute attente, et c’est là que point toute l’impunité du génie d’Helmut Newton, le potentiel érotique de ces images à l’explicite parfois gênant, s’évanouit fugacement. Instantanément, ou presque, l’émoi possible prend les traits d’une excitation intellectuelle. Car donnée si frontalement, la chair offerte de Newton coupe court au pouvoir de l’imagination. Aussi, parce qu’il n’y a plus de mécanisme érotique engendré par l’effort imaginatif, la barrière du désir est-elle dressée de façon principielle. Helmut Newton interdit d’imaginer quoi que ce soit d’autre que ce qu’il montre. Dans cette crudité et cette obsession exhibitionniste des corps, il sait imposer une implacable décence. — L.C.-L. — Helmut Newton, aux Galeries nationales du Grand Palais du 24 mars au 30 juillet.
Degas et le nu ••
Le musée d’Orsay consacre un passionnant parcours au nu dans l’œuvre d’Edgar Degas. L’occasion de déceler au fil du temps et des salles la transformation de son regard sur les corps, ses modèles passant du marbre à la chair. Il est en effet le premier à jeter les bases du renouvellement de ce genre classique par excellence, inspirant au passage Bonnard et Picasso. Et si cette primeur lui revient tout naturellement, c’est qu’il pensa différemment le nu. C’est dans la matière, l’encre brossée, essuyée par des chiffons, que Degas travaille au corps ses sujets, les saisit dans le mouvement en floutant les contours, l’une sortant de la baignoire, l’autre se dirigeant vers le « tub » (bidet qui préservait les prostituées des maladies vénériennes). De ses clairs-obscurs revisités par le XIXème siècle et l’acuité du contemporain, Degas signe l’ancêtre du reportage et semble « sur le terrain ». — L.C.-L. — Degas et le nu au musée d’Orsay jusqu’au 1er juillet.