
Paysages mouvants, Festival du Jeu de Paume
Paysages mouvants, la seconde édition du Festival du Jeu de Paume consiste en une exposition, des performances, des projections, des conférences et des ateliers proposés par les artistes. Les œuvres jouent sur différents sens et suscitent un déplacement aussi bien physique que mental.
L’origine du projet de Jeanne Mercier tient à sa réflexion sur l’exotisme. Co-fondatrice d’ Afrique in visu, où elle a travaillé pendant 15 ans sur la question de la représentation du continent africain, elle a pu observer un changement d’intérêt chez les artistes, passant de l’humain au paysage. La photographie Looking for Paradise de Thomas Struth, exposée au milieu du parcours, a inspiré le point de départ de ses partis pris curatoriaux.
Chaque artiste a eu la liberté d’agencer ses œuvres dans des espaces pensés comme des écrins, telles de mini-expositions personnelles. Huit artistes ont conçu de nouvelles productions, et de nombreuses œuvres s’inscrivent dans une recherche au long cours. Dans chaque salle, l’espace-temps paraît suspendu, entre réalité et fiction. Ces artistes chercheurs prennent le temps d’aborder les problématiques qui leur sont chères, déployant un corpus d’images et d’autres éléments de l’ordre du document archivistique pour témoigner de découvertes et investiguer de nouveaux paradigmes.
Le parcours est ponctué d’étapes d’exploration de différents territoires et paysages, invitant à s’attarder, à contempler et à s’interroger sur les possibilités de nouveaux mondes.
La curatrice a invité la scénariste Loo Hui Phang à proposer un récit spatialisé tout au long de l’exposition. Avec l’équipe du musée, elles ont notamment travaillé avec finesse l’adresse aux visiteurs. Le dialogue entre le texte et les œuvres permet de laisser libre cours à l’enquête et de suivre ses sensations et ses pensées. Nos positionnements vis-à-vis du paysage comme concept, lieu, territoire de rêverie et de projection sont au cœur du propos du festival.
Une photographie d’un paysage arctique de Julien Charrière nous accueille, nous invitant à franchir différents territoires intrigants par leurs spécificités géographiques, géologiques et climatiques. Changement d’atmosphère extrême dans la première salle : des œuvres nous touchent par la lumière qu’elles renvoient. Tirées du film An Invitation to Disappear, réalisé en collaboration avec la philosophe Dehlia Hannah, ces images de palmiers posent la question de la monoculture, qui impacte profondément les écosystèmes. L’artiste, qui mène un travail de terrain accompagné de scientifiques, nous incite à faire confiance à notre sensibilité et à restaurer une conscience de notre place dans le monde.
Léonard Pongo propose une expérience esthétique où l’on se sent à l’intérieur d’un environnement, mettant en lumière la République du Congo comme point de départ pour aborder nos liens à la nature. Un moment de pause est ensuite proposé pour visionner la vidéo Path to the Stars de Mónica De Miranda, où une femme est attentive à l’environnement qui l’entoure, se connectant avec l’eau de la rivière. Les enjeux de réparation du passé colonial du pays transparaissent à travers cette œuvre filmique.
Nous arrivons ensuite sur l’île de Nauru, en Océanie, lieu d’investigation de l’artiste Richard Pak. En écho à l’effondrement de cette île, qui connut un fort développement grâce à la présence de phosphate, l’artiste baigne ses images dans l’acide phosphorique, leur conférant un aspect troublant et fantomatique.
Les paysages relèvent aussi d’une dimension mémorielle. De nombreux déplacements de personnes et de denrées circulent et impliquent des bouleversements. L’installation de Prune Phi joue sur un dispositif de perception à partir d’ustensiles relatifs à la cuisine, autour de la rizière. Aux murs, les photographies du projet Racine d’Andrea Olga Mantovani relèvent également d’une quête pour renouer avec l’histoire familiale. L’artiste a exploré la forêt des Carpates avec deux appareils photo : l’un chargé de pellicules argentiques périmées, renvoyant à son aïeul forestier, et l’autre révélant des paysages aux nuances de violet et de rouge.
Avant de poursuivre le voyage vers d’autres mondes aux temporalités différentes, une pause est nécessaire pour revenir à la réalité et apprécier la lumière extérieure en portant son regard vers le jardin des Tuileries. Dans un espace à la faible luminosité, l’univers de Yo-Yo Gonthier nous transporte dans les nuages. Il déploie son projet au long cours Le Nuage qui parlait. Une ambiguïté entre réalité et magie émane de ses travaux. Ce projet collectif relève d’une forme de rêverie et d’une possibilité d’investissement collectif pour songer à atteindre le ciel.
Nous continuons de divaguer en appréciant l’œuvre Les Hospitaliers d’Eliza Levy. Des ombres portées et des masques suspendus créent un espace propice à l’imagination et à l’émerveillement, renvoyant à un conte. Une branche d’arbre s’apparente à un dragon.
Cette métamorphose induit une remise en question des différences entre les règnes du vivant. L’artiste nous livre « une prototopie intemporelle » : une hypothèse pour recomposer notre présent, en réponse aux problématiques de la planète. Elle propose également un lieu refuge où songer à de nouvelles manières de vivre en symbiose avec les êtres vivants non humains.
Le désir d’accéder à un possible Éden et les tentatives d’exploration d’un monde spatial qui nous dépasse sont au cœur des projets de Julien Lombardi. Son travail artistique porte sur le désert de Sonora, au Mexique, terrain de simulation pour les missions Apollo en raison de son relief similaire à celui de la Lune. L’artiste crée un récit qui contredit la conquête spatiale. Planeta, œuvre spécialement produite pour le festival, résulte d’une collaboration avec des spécialistes en astrophysique, exobiologie et géologie planétaire.
Retour ensuite sur Terre avec le travail de Laila Hida autour du déplacement du palmier-dattier Phoenix dactylifera. Photographie, vidéo et assises sous forme de puzzle, que les visiteurs sont incités à déplacer pour s’installer à leur aise, interrogent la quête d’un exotisme qui pousse à une certaine consommation et inspire une désillusion.
Les bouleversements que connaît la planète sont tels que les artistes s’appliquent à inventer de nouveaux récits, à la limite du possible. Les animaux fuient, tentent de se réfugier et de trouver des habitats à l’abri des humains dans l’installation d’Edgar Cleijne et Ellen Gallagher. Mathieu Pernot met en avant les savoir-faire et l’importance des voix multiples à travers des cartographies, un arbre phylogénétique, des planches d’astronomie et des photographies, rendant visibles des migrations et des paysages marqués par des frontières. Ses travaux témoignent des personnes et structures souvent invisibilisées et dont il convient de préserver les connaissances.
Quel serait le paysage du futur dans une société où la technologie aurait pris le pas sur le vivant ? Telle est la question que nous pouvons enfin nous poser face à l’installation de Mounir Ayache.
Ainsi, cette exposition est rythmée par des moments d’émerveillement et d’autres qui relèvent d’une réflexion sur l’avenir des paysages. Ici, des artistes de différentes générations dressent un état du monde où les changements impliquent à la fois de s’extraire vers de possibles ailleurs et de renouer avec des histoires pour aborder les enjeux climatiques et économiques. Plusieurs scénarios sont donnés à voir, reliés par un récit qui invite le visiteur à s’arrêter : une posture de ralentissement qui l’amène à vivre son quotidien avec plus d’attention et de soin.
Paysages mouvants, Festival du Jeu de Paume — Du 07 février au 23 mars 2025