Françoise Huguier — Maison européenne de la photographie
Françoise Huguier aura sans doute gardé de ses années d’enfance passées en Indochine un désir d’ubiquité. D’avoir été faite prisonnière, avec son frère, par le Viêt-Minh une grande envie de narrer (J’avais huit ans, 2005). Alors elle voyagea, beaucoup et partout et mit en images le récit de ses explorations, de la Sibérie à l’Afrique, du Cambodge à la Russie.
Françoise Huguier — Pinçe-moi, je rêve @ MEP, Maison européenne de la photographie from June 4 to August 31, 2014. Learn more Françoise Huguier aura tout fait, tout entrepris. De la mode au reportage, guidée par un même sens de l’anthropologie ou plus simplement d’une curiosité dévorante des territoires qu’elle ne connaît pas et des hommes qui les habitent. Avant de partir loin, elle a déjà posé ses valises dès 1983 à Libération où Christian Caujolle, alors chef du service photo, la lance sur une voie professionnelle, elle qui se considère encore comme une photographe amateur. En 1990, elle publie son premier livre sur l’Afrique qui fera date et qui l’aidera à réaliser que ses séries méritent publication et admiration. Sur les traces de l’Afrique fantôme, prolongement du travail de Michel Leiris sur les mêmes terres en 1934 est un véritable choc. Analytiques, les lignes de ces épreuves en noir et blanc sont d’une pureté affolante. Preuve de l’immense diversité dont est capable la photographe, trois ans plus tard, son voyage solitaire en Sibérie, en couleur, cette fois, fait défiler un paysage neigeux silencieux et endormi ainsi que des sujets qu’elle rencontre sur sa route et lui destinent de sincères poses. Ses notes de carnet sont drôles et passionnantes et donneront lieu à l’ouvrage En route pour Behring qui résume bien sa démarche documentaire éminemment personnelle.Huguier a beau décrire et raconter avec fidélité, elle n’omet jamais l’humour, voire l’éclat de rire. Plus tard, viendra sa série Kommounalki, sur les appartements communautaires, vestiges de l’ère soviétique, encore occupés par 17 millions de Russes aujourd’hui. Y défilent des corps nus sans cette pudeur que la collectivité a sans doute estompé. Une femme de dos, dévêtue nous permet d’entrer dans cette histoire contemporaine où se joue encore le passé. On aurait pu dire de ce cliché aux contours doux qu’il pût être une image de papier glacé. Françoise Huguier ne sait pas faire autrement que d’embellir ou de sublimer ses sujets. C’est tout naturellement que les magazines Vogue, Marie-Claire, New York Times magazine et Libération, bien sûr) lui ouvriront leurs pages mode.
La Maison Européenne de la Photographie expose à cet égard les liens tissés avec Libération en confiant la rédaction de tous les cartels à Gérard Lefort, grande plume du quotidien qui rend toute la fougue, la fraîcheur et la sagacité de la photographe. Même lorsqu’elle photographie des nonnes (magnifique petite salle dans laquelle a été déposée un prie-dieu en son milieu), Huguier désacralise le réel. Les femmes entrées en religion portent devant l’objectif un accessoire qui fait sourire. L’une d’entre elles tient dans les bras un ballon violet. Ou l’introduction du jeu. Ainsi se pose le regard de Françoise Huguier sur le monde, avec une malice et un goût pour la dérision, pour documenter le réel sans le pleurer.