Robert Mapplethorpe — Grand Palais
S’il est relativement court, le parcours consacré à Robert Mapplethorpe au Grand Palais n’en est pas moins riche avec une concentration de près de 200 œuvres qui courent sur deux décennies d’une production qui porte en elle, dès ses débuts, la marque d’une quête, d’une recherche de l’émotion esthétique.
« Robert Mapplethorpe », Les Galeries nationales du Grand Palais du 26 mars au 13 juillet 2014. En savoir plus Avec certaines constantes autant que de nombreuses inflexions, Robert Mapplethorpe construit dans cette seconde moitié d’un XXème siècle une quête d’un sublime que le corps doit dorénavant porter en lui. Car c’est bien le corps qui s’impose comme un leitmotiv ; vivant, saillant, luisant, il s’offre au regard, à l’interprétation, à l’expérimentation même, avec les poses multiples de mannequins dépouillés de leur humanité. De la volupté au grotesque, les angles, lignes et volumes font de chacun des modèles un fragment d’un livre où l’épiderme se lit, devient matière à une signification par un regard, par un cadre photographique qui reconstruit patiemment une esthétique de son temps.La rencontre organisée de la photographie et de la sculpture antique constitue certainement la problématique la plus féconde du photographe, qui parvient définitivement à son but, idéaliser le corps et faire de lui une icône, après avoir essayé de l’objectiver, en avoir fait une succession de fragments esthétisants. Le corps entre ici dans l’histoire en s’inscrivant, à la manière de la statuaire grecque, au-delà de la simple admiration, pour toucher à l’absolu d’un corps plein. Dépourvu de sa subjectivité, le corps s’échappe devenir lui-même principe de vie. Dans cette quête, les sculptures, à leur tour deviennent modèles et semblent se plier aux désirs du photographe, offertes et lascives. Une mise en parallèle saisissante qui trouve toutes sa force dans l’accrochage conjoint d’une photographie de buste et celle d’un corps sans visage (Female Torso et Lisa Lyon).
Mais si les références sont claires, si le mélange des genres et des époques trahit une volonté sourde de trouver l’unité de la « beauté », d’accrocher, par-delà les époques, l’émotion esthétique, Mapplethorpe maintient une ambiguïté fondamentale. Et le commissariat de l’exposition, juxtaposant aux côtés de chaque série un autoportrait de l’artiste souligne la dimension addictive de la création d’image par l’artiste, de cette proximité d’une vie passée à « sculpter un regard » sur le corps autant qu’à reconnaître la dimension de mise en scène du réel. Le « voyeur » est d’abord ici celui qui fabrique ce qu’il voit. Avec virtuosité, Robert Mapplethorpe crée autant de miroirs sans tain de modèles dont il isole des reflets de lumière sur la peau, des muscles autant que des os pointant sous la chair, faisant de chaque corps la mappemonde de désirs sans fin.
Mais c’est aussi le risque de relever la part indéniablement surannée d’une esthétique de « fétichisation », qui quitte la belle crudité des débuts pour appliquer un traitement presque publicitaire à ces corps, qui se font éléments d’un vocabulaire signifiant, une culture de l’image icône. Ambiguïté constitutive d’un art qui ne manque pourtant pas, à certains moments, de laisser éclater la possibilité d’une problématisation de sa propre image avec notamment Raymond 1985 et son corps capturé tel un étrange végétal ou même Man In A Polyester Suit, cette silhouette sans visage dont le sexe s’échappe du costume complet, l’organique reprenant le pas sur une histoire de la représentation faite de codes et de réglementations arbitraires sur ce qu’on « cache ».
D’un art radical à une image dominante, l’exposition dévoile l’ambiguïté constitutive de la démarche de Robert Mapplethorpe, creusant sans les sacraliser les sillons d’une œuvre aussi forte que déterminante de la représentation d’aujourd’hui.