Simon Boudvin — Le Crédac, Ivry
Le Crédac présente une exposition personnelle de Simon Boudvin qui développe, depuis plusieurs années, une multitude de recherches au long cours autour d’objets dont la présence quotidienne n’altère en rien la force de suggestion imaginaire et réflexive.
Simon Boudvin — Grain @ Le Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry from January 15 to March 20, 2022. Learn more Le grain, qui donne son titre à l’exposition et fait vibrer la tessiture générale du parcours constitue ainsi l’indice premier de partage des formes. Mention éminemment tactile et affective, ce grain porte en lui la richesse lexicale paradoxale de l’atome imperceptible en soi autant que la nature de synthèse d’une matière plus vaste, la somme des contrastes lors du passage de la main rapportée à l’incandescence du souvenir de l’expérience.Concept riche et fécond dès lors qu’il est employé dans la création, le « grain » tisse le lien entre micro et macroscopique et opère la jonction entre le particulier et sa généralisation. Procédant d’une réduction en phase avec les dernières crises sanitaires qui ont secoué nos modes de vie et généré des sédentarisations forcées, l’attention à l’infime, au chiche espace offert au regard amarré au seul horizon de son intérieur, la mise en valeur du minimal fait indéniablement écho à de nombreuses expériences communes récentes. Mais aussi à l’anémie de périodes d’ennui enfantines, où la conscience engourdie dans un demi-sommeil échafaude autour d’un centimètre carré de terre, de tissu ou de parquet, un monde à reconstruire pour en saisir l’immensité.
Une somme d’entrées qui ne vont pas être étrangères à la méthode de l’artiste qui s’attache, ici, à défaire, à démonter des ensembles donnés pour en cerner la troublante valeur symbolique et révéler, à travers leur démembrement, le vertige d’une proximité affective avec leurs entrailles, jusqu’à en faire des figures presque familières. Ainsi, les icônes du design industriel que sont la voiture Renault Twingo et le verre Duralex figurent ici comme les sujets principaux d’une étude qui les dissèque et fait résonner une nostalgie immédiate.
Sans en dévoiler plus que nécessaire, Boudvin établit à travers son procédé d’étude de l’objet, entre réduction et démultiplication, une multitude de boîtes à outils permettant de repenser l’évidence du monde qui nous entoure. Une démarche méthodique visant à rendre compte de la nature fonctionnelle des objets de « service ». Marquée par l’histoire du design, cette éthologie de l’objet dépasse la simple caractéristique naturelle pour évoquer le rapport d’interaction avec ceux qui l’utilisent et le territoire qu’il occupe. Ainsi, derrière la typologie de la Twingo démantelée, c’est aussi la spécialisation nécessaire demandée aux ouvriers censés la fabriquer qui agite les réflexions de l’artiste. Derrière le verre Duralex se déroule le panorama des paysages embués des lieux dans lesquels ils servent.
Il est ainsi constamment question de main, de préhension et de possibilité de s’emparer de tous ces objets, du tabouret destiné à la traite des vaches jusqu’au relevé de formes de poignées de portes de bâtiments à Ivry, du verre Duralex à la mise à disposition, sur étagères de pièces détachées aux textures et tonalités similaires. La voiture, complexe mécanique devient ainsi un ensemble à portée de main, dont la reconstruction permettrait de partager un moment de compréhension et de mise en crise de l’évidence du monde.
L’aspect ludique est ainsi décisif ici avec ces échos aux activités de l’enfance, le « memory » à l’œuvre dans sa vidéo répertoriant des motifs ornementaux dans les rues de Hanoï, la Twingo symbole reconnu dans l’histoire moderne du design jouant avec les codes de la simplicité et de l’enfance, le verre Duralex présent dans les cantines et dont le chiffre n’a cessé d’alimenter les jeux de tables. Du produit industriel transformé bien éloigné de notre réalité biologique, Boudvin nous fait cousins partis à la rencontre, le long d’une déambulation silencieuse, de notre belle proximité.
Avec un humour en trompe-l’œil, une humanité qui se passe de la mise en scène de sa figure et une capacité à détourner l’attention, Simon Boudvin s’empare des formes et, s’il ne s’enfonce jamais dans la métaphore figurative, esquisse des sujets en filigranes, des spectres soulignés par leur absence, ou leur répétition.
De l’image utilisée pour la communication de l’exposition du plastique rouge défraîchi du bouton Stop du tableau de bord d’une Twingo surgissent aussi bien l’image du clown triste et épuisé que l’éruption organique d’un membre jusqu’ici caché, l’urgence de son action initiale comme le temps langoureusement écoulé à y amarrer son regard dans le flottement de voyages sans fin. L’appel au littéraire, la mobilisation de nos propres souvenirs sont paradoxalement constants dans cette présentation au Crédac qui concentre à priori notre attention sur l’objet, sur sa proximité. Un parti-pris qui fonctionne à la perfection, plongeant immédiatement le spectateur devant des indices lisibles d’une démarche à entrées multiples.
C’est que l’histoire elle-même se cache derrière chaque image et ce voyage auquel il nous invite, sans mots, égrène les chapitres d’une narration progressive qui nous fait passer de la froideur des pièces extérieures de carrosserie de la voiture à une salle finale, purement organique, où câbles et fils déployés à ciel ouvert dessinent la chaleur à tout moment « réactivable » d’un circuit dont la combustion est à-même de créer de l’énergie.
Simon Boudvin s’empare avec réussite des possibilités plastiques de son œuvre souvent exprimées à travers les deux dimensions du livre. Sobre, cohérente et riche d’une multitude de paradoxes qui lui permettent de conserver sa complexité, l’exposition Grain parvient ainsi à articuler science, engagement, partage et démonstration dans un sens de la méthode unique et singulier qui échafaude une monographie aussi passionnante qu’inventive.