Drawing Power, Children of Compost — Drawing Lab, Paris
Des œuvres de l’ordre du dessin contemporain réunies au Drawing Lab nous invitent à prêter attention à la nature, parfois invisible et à prendre le temps de considérer le vivant, à préserver. Depuis quelques années, des auteurs anthropologues tels que Philippe Descola, Eduardo Kohn, ou philosophes des sciences telles que Donna J. Haraway et Isabelle Stengers nous invitent à repenser les frontières entre nature et culture, entre humains et non humains.
À l’origine de cette exposition, Joana P. R. Neves, interroge les enjeux liés à l’écologie à travers le dessin, « père de tous les arts », tel que le définissait Giorgio Vasari à la Renaissance. Elle part du principe que « la nature est un des langages du dessin, c’est-à-dire que l’expansion du vivant est une forme de grand dessin cosmique » et associe des œuvres d’artistes contemporains issus de différents horizons à d’autres œuvres, prêts du FRAC Picardie afin de créer des dialogues entre différentes consciences de notre environnement. Ce partenariat marque un début de collaboration entre ces deux structures dédiées au dessin contemporain. La curatrice aborde la notion du vivant en prenant le parti de réfléchir la question du territoire. Le dessin peut-il nous amener à réfléchir au vivant ? Tel est l’enjeu de Drawing power — Children of compost. Les artistes de diverses générations nous donnent à penser un nouveau monde possible, peut-être une humanité plus en phase avec le vivant non-humain.
Les œuvres investissent l’espace du Drawing Lab dans tous ses endroits, de l’extérieur, à l’accueil, à la descente d’escalier et composent alors un parcours de découverte pour observer la nature, le végétal, des matières et nous amener à prêter attention à nos impacts sur la planète, à l’ère anthropocène. Des récits, des expériences sensibles se perçoivent avant le discours écologique, lui sous-jacent. Des dimensions poétique et politique sont associées subtilement dans cette exposition. Au fil du parcours, notre posture devient de plus en plus attentive et des questions émergent en nous, déclenchant des envies d’agir ou de nous comporter différemment vis-à-vis de notre environnement et d’autrui.
Le drapeau de Jorge et Lucy Orta nous accueille, indiquant l’union de différentes communautés et un pays sans frontière. Des œuvres racontent des histoires personnelles et collectives. Des artistes du peuple Kwoma en Nouvelle-Papouasie, Agatoak Kowspi, Chiphowka Kowspi et Kowspi Marek dessinent leur cosmogonie, qui jusqu’alors n’était qu’orale. Le Tampon de Barthelemy Toguo marque un déplacement de population, une marque identitaire.
Le dessin est trace minimale chez Wolfang Laib, artiste précurseur d’une spiritualité de la nature. Plus loin, les œuvres sur papier de Yazid Oulab montrent des migrations sous forme de cartes qui se perçoivent en prenant le temps d’aiguiser son regard. Nous exerçons notre perception afin de déceler les lignes et formes des travaux des artistes.
Une pensée assez critique sur l’emprise du travail humain sur les territoires se lit au travers de certains travaux au long cours. Noemi Peerez traduit dans ses dessins un territoire meurtri par la mainmise de l’homme qui travaille la terre en monoculture. Marcos Avila Forero, lui, met en évidence les enjeux économiques de son pays qu’il prend le temps d’analyser de l’intérieur. Amanda Riffo a récupéré des documents de la revue National Geographic et les recouvre d’un dessin répétitif à la gouache formant une figure géométrique afin d’interroger l’industrie minière et ses impacts sur le paysage. Le dessin souligne alors la définition du territoire comme abstraction humaine, dont les limites ne font qu’être bousculées au fur et à mesure des actions et changements politiques de ceux qui l’habitent et le façonnent.
Des artistes réinterprètent également la pratique de l’herbier telle que Raffaella Della Olga. Elle travaille sur des feuilles et du tissu, matériaux périssables et crée des tapuscrits sur feuilles avec papier carbone. Ses œuvres expriment à quel point les végétaux sont des matières délicates, à étudier, à conserver afin de montrer leurs qualités graphiques et ce qu’ils ont à nous dire. Bernard Moninot enregistre le mouvement du vent et donne ainsi à voir une série de tracés. Le temps de la nature se perçoit au travers des œuvres. Le dessin, telle une trace, est relié à la marche chez Richard Long. Sa carte nous rappelle qu’avant tout le paysage est une construction façonnée par l’homme. Différents éléments fugaces et éphémères sont ainsi révélés par les artistes.
Le dessin de Fabrice Hyber, artiste engagé dans la plantation d’une forêt en Vendée, montre les propriétés d’un arbre et raconte de nouvelles histoires. L’œuvre Redwoods, Landscape in Repair #12 de Gabriela Albergaria rend compte, elle, de la préciosité d’une branche d’arbre, témoin d’un paysage à restaurer. Dans un autre registre graphique, la série de dessins d’une grande finesse de Giuseppe Penone, artiste considéré comme l’un des premiers à travailler sur les relations de l’homme à la nature, nous invite à prêter attention à notre souffle de vie et à l’énergie, que nous avons en commun avec les arbres. Une fusion du corps nu au végétal se révèle en contemplant la vidéo Hanabi-ra, chute des pétales de l’artiste japonaise Tabaimo. Nous songeons alors à une vanité, celle du cycle de la vie des plantes et de l’être humain.
L’installation en vitrine de l’œuvre Microlepidoptera d’Hipkiss rappelle les cabinets de curiosités. Le duo d’artistes prête attention à un groupe d’animaux qu’on ne voit pas habituellement. L’ensemble de micro-dessins interroge notre regard et les limites de notre perception. Nous prenons une posture de scientifique, d’observateur des insectes et tentons de percevoir les infinités de détails qui les caractérisent.
Au fur et à mesure de notre parcours, nous voyageons dans des contrées éloignées et devinons différentes approches du vivant et du paysage, construit et façonné par l’homme. Repensons alors nos modes de vie en nous rapprochant des autres vivants et en essayant de les comprendre. En considérant avec empathie les êtres et modes de vie d’autres cultures, nous ouvrons notre conscience du monde… Rappelons que l’homme vit dans les paysages qu’il a désormais domestiqués. Les artistes sont les passeurs d’un nouveau monde possible et annoncent ce qui pourrait à terme advenir de nos terres et de notre environnement. Ils nous indiquent le chemin à suivre pour reprendre contact avec la Terre, sources de bienfaits, à préserver.
Ainsi, Drawing Power — Children of Compost offre un moment poétique pour prêter attention au végétal, aux microphénomènes et aux petits riens de notre planète fragilisée par la crise climatique. Le dessin, médium par nature périssable pose la question du caractère évanescent de la nature. Les œuvres interrogent notre relation aux paysages que nous fabriquons et aux flux indiquant des mouvements dans les territoires. Une histoire des artistes attachés aux enjeux liés aux paysages se révèle au travers de cette exposition.
Jusqu’au 30 septembre 2021