Édito
De dimanche soir en dimanche soir, le paysage politique français se couvre d’une poix amère qui brouille notre vision et s’épand, tenace, face à nos bouches bées. Lundi, nous pouvons voir, nous devons dire.
La France, peut-être plus que de nombreux pays tant son histoire l’en a rendue coupable et victime, sait la nature d’une idéologie nationaliste ; elle est invariablement un crime. Un crime contre la pensée, contre la société, contre le droit fondamental à lutter, dans la dignité, pour « toutes » les idées. Cette idéologie nationaliste qui parade, caquette et rêve de soumettre une France des différences, arase la complexité constitutive de notre bonheur de penser sous l’étroitesse de son fantasme incantatoire.
Car il n’y a pas d’ « esprit » national, il n’y a qu’une idéologie nauséabonde et conservatrice du bien-fondé de sa certitude. Comprendre le monde ce n’est pas en observer, à travers un miroir malade, la course univoque mais c’est précisément tourner le dos à son propre reflet pour laisser la lumière (et toutes les ombres) du monde nous frapper de plein fouet et nous soumettre à sa réalité.
Le monde de la culture le hurle avec force, face à la certitude grégaire d’un Front national qui fait de son engagement politique l’idolâtrie d’une pensée sécuritaire inquiète de ses différences, misogyne, xénophobe, anxiogène, irréaliste et incompétente ; nous avons autant à apprendre qu’à défendre et nous avons surtout plus à partager qu’à craindre.
L’action politique de ces 25 dernières années a certes oublié de participer à la construction d’une réflexion de fond contre l’affirmation de la haine, du repli nationaliste et d’un patriotisme aux relents populistes. L’art, lui n’a jamais oublié ces Narcisse de l’ordre social et, dans toute son histoire, n’a cessé d’activer les problèmes de la pensée pour nous pousser dans nos contradictions. Politiques ou non, toutes les formes de création imposent un regard singulier, empli du doute propre à toute véritable observation du monde. En créant, chaque artiste, chaque penseur engage la liberté de tous ceux qui s’y confrontent et dessine une part d’un paysage mental universel qui pense la question de l’être avant de menacer l’autre.
Ce n’est pas beaucoup, cela n’est certainement pas assez et il est probablement très tard, mais c’est une urgence : notre rôle est de dénoncer, d’agir et d’affirmer en chaque occasion le bonheur de la différence, avec une énergie pleine de son courage comme de sa maladresse. Car se battre contre une idéologie imbue d’elle-même, c’est aussi rappeler la force joyeuse de la pensée complexe, la liberté foudroyante et, par-dessus tout, aussi fière de ses contradictions que curieuse de sa diversité. Le pas de côté et le recul perplexe doivent laisser place à la résistance ; l’ennemi n’est pas à nos portes, il est dans nos têtes, identifié. Il n’est pas conjoncturel, il est implanté et menace structurellement nos corps. Aux côtés des artistes, aux côtés des Français, nous engageons notre responsabilité contre le Front national.