Graciela Iturbide — Fondation Cartier
La fondation Cartier présente les travaux de la photographe Graciela Iturbide, qui, depuis les années 1970, suit les traces du maître Manuel Àlvarez Bravo (1902-2002) pour proposer un œuvre empreint d’esthétique et de sentiments. Véritable entreprise humaine, chaque voyage de la photographe devient une aventure et une tentative de rapprochement dont la nature même de ses images se pare.
Relativement méconnue encore en France, la présentation de la Fondation Cartier devrait remédier à cette incongruité tant le parcours aussi dense que lisible, aussi respectueux des partis-pris esthétiques de l’artiste que soucieux d’en souligner la dimension humaine parvient à convaincre et à toucher. De son Mexique natal dont elle explore les conditions de vie du kaléidoscope de communautés qui le peuplent au Japon et à l’Inde en passant par les Etats-Unis, la photographe, lauréate des prix W. Eugene Smith et Hasselblad fond dans son regard les lignes d’un monde dont la rencontre entre nature et architecture tisse la matière de paysages dont elle isole avec force des images qui sont autant de points d’ancrage qui les lient.
Si l’homme est au cœur d’un pan de son travail, le point et la ligne apparaissent comme matrices de son esthétique ; Iturbide puise dans les éléments du décor les signes pour écrire des histoires courtes de paysages qui, si elles font une grande part à la plastique léchée, servent un récit du monde marqué par la superposition, l’ajout et l’aplat.
Un horizon double qui unit dans l’analogie de son regard la multitude de singularités qu’elle ne manque pas de célébrer et tente de mettre en valeur par ses propositions plastiques. Au sous-sol, la présentation historique nous plonge de plain-pied dans les immersions de la photographe avec des travaux historiques, traçant dans le temps le parcours d’une femme engagée auprès de ses sujets. Les mains, mes membres et les organes sont au cœur de son travail. De même la mort, la fin possible s’ajoutent à ce ballet de sentiments charriés par ces vies exposées. D’où la force d’un sentiment de « fascination » qu’elle même évoque et fait écho à sa manière de mettre en images ces réalités disparates dont elle a partagé les angoisses et les joies et auxquelles elle « oppose » un reflet bienveillant.
Car si le réel, la rencontre et la communauté même de vie sont essentiels dans ses séries au cours desquelles Iturbide a précisément pongé au cœur du quotidien de communautés dont elle capture l’intimité, la part poétique et forcément immatérielle des « caractères » qu’elle tente de révéler passe par une nécessaire exploration de ce qui les lie. D’où la constante cohérence qui émane de ses séries et trace, à travers les cinquante années d’images, les dizaines de milliers de kilomètres qui séparent et réunissent tous les continents du monde, dans la végétation comme dans la construction, dans le regard d’êtres humains comme dans l’impassibilité des pierres, une force du contraste, du jeu sur la lumière qui dispose, depuis ses débuts dans les années 1970, les pièces essentielles aux drames et aux bonheurs que peint son théâtre d’images.
Dans cette plastique en noir et blanc très marquée, on s’inquiète tout de même de tomber proche d’une esthétisation de la précarité, les lignes arasant et dé-figurant les différences sous un oeil tourné vers le soleil. Ciels et végétations deviennent autant d’éléments de mises en scène pour des compositions menacent de s’y complaire. Pourtant, l’importance non feinte des rencontres, les jeux sur les textures et les trouvailles d’un regard capable de s’attacher aux plus fins éléments pour dénicher la part « communicative » de l’image parviennent à déjouer les pièges et l’on est sidéré par sa capacité à révéler la vivacité de plantes devenues à leur tour des fragments fossilisés, des pierres installées dans des jardins de récits d’un exotisme réinventé.
Son lien à la pierre, aux « morceaux d’étoiles », rapprochant le ciel terrestre et le sous-sol sédimentaire, intiment ainsi l’ordre de ne pas perdre l’horizon de sa démarche, ancrée dans la réalité sociale et prenant le temps nécessaire de s’inscrire dans la durée, pour toucher in fine cette temporalité qu’elle décrit comme précédant l’humain sur le témoignage, la part d’humanité ancrée à tout projet documentaire.
Graciela Iturbide, Heliotropo 37 — Du 12 février au 29 mai 2022 — Fondation Cartier pour l’art contemporain