
Guillaume Barth — Galerie Jeanne Bucher-Jaeger
À la galerie Jeanne Bucher-Jaeger, l’ensemble du projet Elina de Guillaume Barth est présenté en son intégralité pour la première fois. Pour cet artiste qui a vécu la création de cette œuvre comme une expérience porteuse d’espoir et d’imaginaire, cette exposition se veut un hommage aux Aymaras, peuple autochtone des Andes qu’il a rencontré lors de son premier voyage en Bolivie. Sa démarche est teintée de spiritualité, d’empathie pour celles et ceux dont il fait la connaissance à travers le monde et ses travaux relèvent d’une attention aux cycles dans la nature, au vivant et au milieux naturels qu’il explore avec respect.
Plus loin, une série d’images rarement montrées, documente la création de cette installation et les rites de pluie de la communauté Aymara de Tahua, réalisée par son ami François Klein, qui l’a suivi pendant trois mois sur le site. Une sculpture en bois qui lui a servi d’armature rend visibles ses proportions, pensée à l’échelle du corps de l’artiste. Celle-ci nous permet de comprendre les différentes étapes de création de cette sculpture éphémère qui a transformé un paysage tout en fusionnant avec celui-ci.
Dix années plus tard, l’artiste est revenu en Bolivie, tenir sa promesse aux Aymaras. Il a offert aux membres de la communauté cent exemplaires du catalogue, réalisé en l’honneur de l’œuvre. Lors de ce voyage, accompagné par son ami photo-reporter, d’autres compagnons de route, des collectionneurs et la galeriste, il leur annonça son soutien face à la situation préoccupante, celle d’un assèchement des rivières menaçant l’agriculture et leurs conditions de vie. Comme un hommage à cette communauté et au territoire sacré, Guillaume Barth a réalisé une autre sculpture de plus petit format en sel issue du Salar d’Uyuni. Celle-ci répond à Elina tout en nous invitant à réfléchir sur l’enjeu de cette ressource et sur les transformations que subissent ce paysage de sel.
Des dessins d’une grande finesse réalisés suite à son voyage en 2025 rythment l’accrochage. Ils participent au récit de cette œuvre à la temporalité longue, restée dans la mémoire d’un peuple. L’artiste qui se considère comme un conteur voit la nécessité de transmettre son vécu, les étapes de son voyage et les différentes rencontres qui l’ont marqué et qui resteront inscrites en lui. Un bloc de sel, témoin du composant de son œuvre poétique, complète également le récit de cette œuvre au long court, qui continue d’inspirer l’artiste à des gestes et à une attitude humble face à la nature.
Ce projet fut pour Guillaume Barth une manière de nous faire prendre conscience de la fragilité d’un milieu et de la nécessité de le préserver, en laissant le moins de traces possibles. Il relève d’une expérience temporelle qui implique un grand respect pour les traditions et rites du peuple rencontré. Elina incarne l’émergence d’une vie, d’un milieu capable de se régénérer, de se former puis de retourner à un état initial. Au-delà de sa réalisation en 2015, celle-ci diffuse une sorte d’énergie interne. À l’image d’un habitat, elle renvoie aussi à une forme de résilience possible à une période où les milieux naturels se révèlent fragilisés par les impacts humains. Notons l’engagement de l’artiste et de la galeriste qui ont décidé de reverser 10% des ventes d’un coffret d’artiste aux populations locales de Tahua dans le but de révéler au plus grand nombre les dégâts causés par l’exploitation du lithium. Pour Guillaume Barth, cette œuvre constitue un marqueur temporel de l’évolution d’un milieu en proie à l’exploitation du sel blanc.
Aux côtés des travaux relatifs à Elina, l’œuvre Œil de Simorgh réalisée à partir de miroirs à la feuille d’argent, imaginée suite à la lecture du poème soufi Le Cantique des Oiseaux de Farid od-din ’Attâr, rayonne tel un soleil et incarne la dimension cyclique au cœur des projets de l’artiste. Créée dans le cadre du projet au long cours Crocus savitus, cette très belle pièce résulte là aussi de rencontres humaines en Iran et d’une attention portée aux rites et aux croyances.
Ainsi, les œuvres de Guillaume Barth condensent des problématiques sociales, une certaine rêverie, une empathie pour les lieux et incitent à la contemplation, à la méditation, à la réflexion sur la fragilité, voire la disparition de certains milieux naturels. Elles nous invitent à écouter et à faire confiance aux croyances de certains peuples premiers ; à nous laisser porter par l’histoire qui gravite autour d’Elina, à rêver et à suivre nos intuitions.