Théo Mercier — Le Portique, Le Havre
Théo Mercier, artiste plasticien et metteur en scène, propose des expositions qui invitent à la fois à parcourir un espace ainsi qu’à contempler des paysages composés d’artéfacts récoltés et de sculptures.
Il associe selon ses propres termes « la magie blanche » du white cube et « la magie noire » des arts de la scène et compose une œuvre entre deux, de l’ordre d’une « zone grise », pour inventer de nouveaux regards. Se disant « sculpteur d’exposition », l’artiste crée des « environnements » qu’il prend le temps d’imaginer en fonction des éléments qu’il rencontre, glane et de l’espace où il est amené à exposer. Il compose des installations à partir d’un vocabulaire d’objets prélevés de territoires marqués par la présence de l’homme. Ses expositions prennent parfois la forme de cabinets de curiosités.
Entre le Mexique et la région parisienne, son travail artistique est marqué par une réflexion sur la globalisation du monde. L’artiste interroge la valeur qu’on accorde aux objets et aux éléments qui participent de notre vie quotidienne. Pour cette exposition personnelle au centre d’art contemporain Le Portique, dans le cadre d’Un Été au Havre, Théo Mercier transforme les bouleversements écologiques en œuvres qui appellent au voyage et à une attention aux matières. Il s’attache à raconter l’histoire des œuvres qu’il transporte depuis l’état du Guerrero, au Mexique, jusqu’au Havre et conçoit des dispositifs de monstration de ses sculptures. Dans ses installations, il établit des correspondances entre des matériaux nobles et anodins, de la vie de tous les jours.
Nécrocéan, son installation immersive dans la première salle, nous invite à circuler parmi les crabes en bois exotique fabriqués à la Havane, des sculptures d’objets et autres éléments fragmentés, recréés en onyx, matière typique de l’artisanat mexicain, et réalisés par des artisans locaux qui se spécialisent dans la sculpture de pierres précieuses et de coquillages. Un rideau marque le passage de 500 crabes articulés qui semblent s’échapper ou dessiner un itinéraire. L’artiste use des codes de la scène de spectacle pour composer un espace, une sorte de plage, à la fois en suspens et indiquant un possible mouvement. Les matières organiques semblent reprendre le dessus sur les déchets, enfouis dans les fonds marins. Ainsi, les déchets transformés acquièrent une nouvelle vie. Cette œuvre nous invite à prendre conscience de notre impact sur la planète.
Archéologue du présent, sa pratique artistique est nourrie de son intérêt pour la sociologie, l’anthropologie et d’autres sciences. Théo Mercier collectionne des roches artificielles qu’il dispose sur des étagères en marbre, telle une bibliothèque, qui témoigne de sa volonté de comprendre le monde. Ces éléments de l’ordre du décor d’aquarium ou terrarium apparaissent alors tels des rocs du futur, provenant de territoires fictifs. Si de loin, le trouble se fait sentir, de près nous percevons le caractère factice de ces rochers si bien imités, destinés à être vendus en masse. Au cœur des réflexions de l’artiste se jouent la question du domestique et l’ambiguïté entre les matériaux. Dans cette installation nommée La possession du monde n’est pas ma priorité, les reproductions de pierres sont comme anoblies en étant posées sur les tablettes, support précieux.
Des objets de rebut de différents formats et issus de divers pays reconstitués en onyx sont installés sur un socle blanc. Ces reliques en plastique ainsi recomposés deviennent des traces d’une transformation par la nature. Marée blanche, cette installation nous invite à songer à un monde du futur, où surgiraient de nouveaux matériaux, entre naturel et artificiel, entre passé et avenir. Tout se transforme et se recompose dans les œuvres de l’artiste scénographe et performeur. Il nous amène à penser à nos usages des objets et aux manières dont ils sont modifiés, voyageant de pays en pays.
Approfondissant une réflexion sur l’obsolescence des objets, Théo Mercier utilise des ranges CD qu’il érige sur des socles en marbre, composant alors des tours d’immeubles étranges. Des CD réalisés en marbre sont insérés dans cette installation titrée Panorama obsolescence, qui rappelle des souvenirs d’une époque de profusion d’objets, devenus désormais désuets. L’artiste nous invite à réfléchir à la matière industrielle, à ce qu’on achète en masse, à ce qui reste et laisse une trace.
Ainsi, il imagine des paysages de ruines d’objets qui témoignent d’une ère anthropocène, où le plastique, peu à peu, se recouvre de matières naturelles. Ses œuvres incarnent un cycle de transformation, de métamorphose des objets voués à la disparition, qui deviennent alors des sculptures attestant d’un déplacement. Les éléments qui composent ses installations incarnent le transport et la circulation des marchandises. Son exposition fait également écho à l’histoire du Havre, connue pour sa destruction et sa reconstruction, qui retrouve un certain éclat désormais par une programmation artistique dans et hors les murs.
Théo Mercier, Nécrocéan, Le Portique, centre d’art contemporain du Havre, jusqu’au 26 septembre 2021