Affinité(s) — Galerie Jousse Entreprise
Une exposition collective « de rentrée », sur un temps court de deux semaines, avec treize artistes, sans commissariat annoncé, en attendant la prochaine exposition : voici ce que nous raconte peut-être — sur le papier — le titre de cette exposition intitulée Affinité(s). La galerie nous en redonne la définition :
« Affinité(s), n.f., (latin affinités, parenté) : Conformité, harmonie de goûts, de sentiments, de caractère entre deux ou plusieurs personnes ; conformité, ressemblance entre les choses. »
Affinité(s) — Exposition collective @ Jousse Entreprise — Art contemporain from September 8 to 25, 2018. Learn more Sans jouer complètement la carte du ludique en proposant — comme l’avait fait le Grand Palais en 2016 avec l’exposition Carambolages — un enchaînement constellé d’œuvres aux affinités insolites et formelles, l’espace de la galerie est discrètement parsemé d’œuvres : un moniteur vidéo, de la peinture, de la sculpture, une installation, une projection vidéo… : le décor scénique classique de l’art contemporain. La feuille de salle joue son rôle de distribution, dévoile les noms et explicite certaines accointances avec de courts textes. On outrepasse vite la volonté d’un « dialogue sensible » entre les œuvres, malgré le souci d’accrochage toujours pertinent et remarquable auquel nous a habitué la galerie Jousse Entreprise.« Capsule de l’art contemporain ». La vitre de l’entrée principale de la galerie — pignon sur rue, au 6 de la rue Saint Claude — a été malheureusement vandalisée hier soir ; les stores sont alors baissés et la lumière naturelle condamnée à l’extérieur. Nous voilà alors confiné — en sécurité ou séquestré — avec les œuvres des treize artistes exposé.es. La pièce habituellement rayonnante prend des airs de bunker, les néons blafards deviennent signalétique de parking ; un lexique de l’isolement que la bulle de l’art contemporain partage sans conteste avec l’obscurité mystérieuse et élitiste d’une communauté digne d’Agartha, sinon Auroville. Cloîtrés et heureux de cette nouvelle appartenance à un monde reclus, nous côtoyons avec dévotion ces objets scénographiés dans une forme de sacralité surjouée.
La peinture d’Eva Nielsen est sans conteste une forme d’entrée dans un monde mythologique, sinon fantastique. L’œuvre Archihead (2018) incarne cette idée d’une œuvre fragmentaire, retrouvée comme le Laocoon, sous les décombres d’une civilisation pleine de fantasmes. Comme les structures photographiées de l’artiste Noémie Goudal, les architectures d’Eva Nielsen se jouent de la perspective et brouillent notre perception du volume et de la profondeur avec des techniques de superposition. Dans son univers fantomatique, l’artiste développe des formes composites qui se chevauchent grâce à la sérigraphie, la photographie et la peinture. Si la musique entraînante d’Ennio Morricone (la bande originale du film Uccellacci e uccellini de Pasolini) attire notre ouïe vers la vidéo d’Elisabetta Benassi, notre regard est appelé au sol par l’œuvre de Clarisse Hahn. Le monolithe de granit noir est avachi contre le mur, faiblement dressé comme une stèle vacillante. Sur sa surface plate, lisse et d’un reflet éblouissant, l’artiste a gravé à la mine de diamant des jeunes hommes arrêtés dans des poses expressives. Le titre, Aux aventuriers (2017), laisse entrevoir le discours derrière l’œuvre, celui d’un hommage aux migrants, ces personnes qui parcourent le monde « pour changer le cours de leur vie ».
Baigné dans le son lancinant des vagues du film d’Ariane Michel (accompagnée d’Hugues Reip), les œuvres de la grande pièce du fond de la galerie sont illuminées (affectées ?) par la lumière rose acide de l’œuvre d’Ange Leccia. Deux projecteurs de cinéma disposés au sol se font face. Clin d’oeil au Baiser de Brancusi, les machines sont à deux doigts de la rencontre mais ne s’effleurent que par la puissance de leur émission aveuglante. Une réflexion sur le cinéma et l’illusion qui confère à l’espace qui nous entoure une atmosphère étrange.
Corroboré par la scénographie impromptue d’un vandalisme, le choix simple — avec ou sans affinités — d’assemblage que réalise la galerie Jousse témoigne d’une « harmonie de goûts et de sentiments », oui probablement, mais également et surtout de la puissance narrative des œuvres sélectionnées. Ainsi, c’est barricadé derrière les stores de la galerie que se révèle — loin de la lumière — une facette de l’art ; celle d’un monde souterrain et autosuffisant, où les formes sont adorées et la fascination impondérable.