Alien Theory — Ce qu’il faut (sa)voir
Délibérément situés dans une certaine marge en termes de production artistique (d’un point de vue esthétique et théorique) — ce qui ne les empêche pas d’afficher un grand nombre d’expositions au compteur malgré leur jeune âge, et pas des moindres puisqu’ils ont notamment représenté le Portugal lors de la 53e Biennale de Venise en 2009 —, les deux artistes João Maria Gusmão et Pedro Paiva feraient presque figure d’extra-terrestres. Au point de s’aventurer à revendiquer et établir, non sans l’humour et l’intelligence qui traversent toute leur œuvre, une « Alien Theory », titre de leur exposition personnelle présentée au Plateau — Frac Île-de-France du 22 septembre au 20 novembre 2011.
Dans le « prologue » qu’ils publient dans le fascicule de l’exposition qui, une fois n’est pas coutume, regroupe, en lieu et place des notices habituelles, les commentaires nourris de références littéraires et philosophiques des artistes eux-mêmes sur les œuvres présentées, ces derniers préviennent qu’ils vont nous expliquer « comment [ils ont] filmé ce que personne n’a réussi à voir jusqu’ici » ! Leur « Alien Theory », théorie extra-terrestre et en cela intrinsèquement marginale, « théorie des exceptions, donc une non-théorie », « cherche parmi les arguments les plus déraisonnables, ce qui n’a pas encore été vu ou à peine pensé : l’improbable ». « Afin de comprendre ce qui suit, il faut savoir que notre cinéma est sous influence d’effets complexes (la magie de Benguelino) », annoncent-ils encore, mystérieusement.
Benguelino n’est autre qu’un sorcier africain guérissant les maladies tropicales dans une cabane et qui, à la demande des deux artistes, a jeté un sort à leur caméra de sorte que cet outil de captation visuelle puisse saisir ce qui échappe à la raison (et à la vue). Placé en exergue de l’exposition, le film Benguelino jette un sort à la caméra (2011)
fait ainsi office de prologue, de mise en conditions (et en garde ?), avant que l’on ne s’engouffre dans un labyrinthe plongé dans le noir où sont projetés une quinzaine de films courts et invariablement muets, en 16 ou 35 mm, et montrées deux camera obscura. Nous voilà évoluant au cœur d’un monde (parallèle, souterrain) d’images empreintes de science-fiction et de spiritisme dans lequel prolifèrent faisceaux de lumière, reflets, ombres et autres fantômes, et qui convoque manifestement, entre autres, la célèbre allégorie de la caverne de Platon (La République), et avec elle, les questions de la perception, de la connaissance de la réalité et de sa transmission.
Ainsi, de bien étranges phénomènes nous apparaissent, faussement extra-ordinaires : ectoplasmes aquatiques, fruits en lévitation, tornade de spaghetti, triple soleil, roue qui tourne devenant fixe, pot qui en cache un autre (plus petit), etc. En dépit d’une esthétique et de moyens que l’on pourrait qualifier de low tech, la démonstration — bien que déployée sans un traître mot — est implacable : entre tours de magie ostensiblement truqués et illusions d’optique, les expériences et situations données à voir confinent à l’absurde, dans un registre volontiers proche de la pataphysique, plus que de la science à proprement parler, dont elles pointent ironiquement les failles en même temps qu’elles déstabilisent les certitudes et les vérités. « Tout est sens dessus dessous et nulle part est partout », écrivent-ils. À méditer.