Caroline Corbasson — La Maréchalerie, Versailles
À travers une dizaine de vidéos aux formes variées, Caroline Corbasson présente à La Maréchalerie de Versailles une installation immersive et enveloppante où l’image en mouvement et la mise en scène de l’expérimentation scientifique charrient les niveaux de lecture et d’invention de notre propre perception.
« Caroline Corbasson — Ellipse », La Maréchalerie, centre d’art contemporain du 18 septembre 2020 au 18 juillet 2021. En savoir plus Les plans serrés et panoramas, les paysages et images issues de diverses technologies s’enchaînent dans des montages rythmés, plongeant le spectateur dans une multitude d’univers à déchiffrer. Objets techniques, fils et circuit électriques, ombres et variations des couleurs deviennent des organes complexes d’un puzzle machinique dont on ne saisit pas l’identité qui se meut, au gré des projets de l’artiste, comme un Léviathan mythique et silencieux dont chaque œuvre tenterait de capturer un nouveau trait.La recherche est ici dramatisée, insérée dans un processus de narration, elle devient un engagement du corps, une mise en jeu de la sensibilité, à l’image de ce corps qui s’enfonce dans l’eau et fait écho, dans l’immensément grand, à la recherche de l’intime, au microscopique. « L’onde », « la nuée », « l’ellipse » (qui donne d’ailleurs son nom à cette exposition) et « l’attraction » deviennent autant de notions nécessaires pour définir les « motifs » de ses œuvres qui se refusent à toute fixation, embrassant le mouvement continu et perpétuel d’une matière qui, de sa formation à sa disparition, ne cesse, n’a jamais cessé et ne cessera jamais d’exister. Plus que des traits, ce sont ainsi des marques intensives qui se lisent dans ses travaux, remplaçant la graphie, la forme, la couleur même par l’accentuation, la porosité et l’irisation.
C’est ainsi que l’on touche un enjeu fondamental dans sa création, l’importance du « geste » de l’expérimentation, qui se révèle ici régulièrement être le véritable protagoniste des images, qu’il s’agisse d’êtres humains ou de toute autre figure. Dans cette perspective, tout dans ses vidéos est affaire de mouvement et de variation bien plus que d’image à fixer dans l’imaginaire. Le medium vidéo, que l’artiste a appris à maîtriser à mesure de projets impliquant son propre corps au long de voyages et de rencontres paraît un prolongement en soi de cette persistance de l’oscillation. Même lors de successions d’images fixes, obtenues par le balayage de télescopes, c’est la modification, la perception d’une différence continue, pour ne pas dire infinie, qui semble affleurer de ses images. Se dessine un kaléidoscope de formes dont la perception, rendue possible par l’avancement de la technologie, conserve une part de mystère, où l’onirisme et la mystique maintiennent une part d’existence. C’est que, derrière la rationalisation, la technologie et la retranscription du réel, notre perception se pare toujours de biais, d’échappatoires possibles et d’une soif d’invention, de fabulation qui glissent, par association, dans les ombrages de reliefs lunaires la possibilité d’un reflet de notre vie, une silhouette ou un visage se dessinant comme le miroir de notre propre incapacité à limiter notre sensibilité à la pure sensation.
Un horizon ouvert que chacune des vidéos de Corbasson laisse jouer dans la pénombre de la Maréchalerie et qui souligne cette réflexion constante entre le gigantisme de la structure, la profondeur du savoir et l’importance des moyens déployés pour percevoir l’invisible, pour sentir l’inframince. En ce sens, le medium donne une fois encore à ces aventures de la raison une forme singulière qui relie à nouveaux frais expériences et expérimentation.
Hormis quelques maladresses et redondances dues à une approche qui s’affine dans le temps même de sa recherche, à l’image de l’insistance de plans sur la silhouette de l’artiste qui, s’ils se veulent discrets et éloignés de la mise en scène de soi, gagneraient selon nous à trouver une subtilité, un effacement progressif qui serviraient plus encore la finesse des objets de sa recherche, de même que la place légèrement trop importante que revêt l’habillage sonore, aux limites d’une esthétisation par trop symbolique, Caroline Corbasson propose avec ce programme de vidéos une approche multimodale d’un univers bâti pierre par pierre. Un univers parcouru d’obsessions qui organise une rencontre inédite entre des mondes qui transpercent les paradoxes apparents pour créer les fruits passionnants d’une perspective transversale aux allures de chemin de traverse de la pensée, de la création, nécessaire pour appréhender le réel dans toute sa complexité.
Une ligne de crête tenue constamment entre les champs de la nature vierge, l’observation des espaces les plus reculés, ceux-là même où la technologie de pointe s’exerce pourtant avec le plus d’acuité pour en découvrir des secrets qui drainent dans leur sillage un imaginaire tout aussi mythologique que rigoureusement scientifique. Faisant vibrer avec poésie et l’invention d’une forme esthétique singulière, mêlée de silence, d’onirisme et de précision, l’artiste conjugue ainsi la rationalité méthodique de la science et la fantastique abondance d’ordres chaotiques créateurs de la nature pour dévoiler un portrait sensible et expérimental d’un monde dont elle invite, à sa suite, à se saisir, comme un reflet mouvant, par le geste.