
Guillaume Bresson — Château de Versailles
Le Château de Versailles accueille au sein de ses salles une exposition personnelle de Guillaume Bresson, dont le commissariat, peu lisible et avide de sensationnalisme entretient une ambiguïté qui paraît manquer la substance d’un œuvre qui a su la dépasser.
Se confronter à la peinture de Guillaume Bresson, c’est affronter les questions qu’il soulève. Nombreuses et graves, elles prennent une dimension majeure depuis son installation au sein du panthéon du renouveau de la jeune peinture française des années 2010. Un succès qui n’a rien d’immérité tant sa démarche, audacieuse à l’époque, radicale et conjuguant technique, histoire de l’art et société porte, depuis ses premières toiles, une efficacité redoutable dont le monde de la communication s’est alors emparé. Ses scènes hyperréalistes, peuplées de jeunes hommes en plein affrontement dans des décors urbains, résonnent avec les grands tableaux historiques de la peinture d’histoire classique. Mais cette confrontation, exposée dans les salles d’Afrique du château de Versailles, pose aussi un problème de lecture : que nous dit cette mise en dialogue entre les guerres coloniales du XIXe siècle et les confrontations virilistes contemporaines mises en scène par Bresson ?
L’artiste poursuit un travail méticuleux de composition qui, dans le cas des œuvres de jeunesse exposées ici (pour la plupart d’avant 2010), tend autant à magnifier l’esthétique des affrontements sous-terrains suburbains qu’à les déréaliser en adoptant, d’une part, un traitement de lissage aux accents technologiques et en inventant un point de vue hautement improbable, celui de témoin regardant, à hauteur d’yeux, des règlements de compte sans règles dont il serait l’arbitre. Inspiré par les maîtres de la peinture, il emploie une méthode de reconstruction par la photographie et le montage, donnant à ses toiles une puissance dramatique dont l’étrangeté et la singularité de cette perspective humaine et impossible embrassent toute la force baroque. Chaque corps, figé dans un instant de tension, semble témoigner d’une réalité transcendée par la mise en scène. Mais cette esthétisation pose question : à force de magnifier la violence, ne risque-t-on pas d’en gommer la complexité, d’en masquer les causes et d’en spectaculariser les conséquences ?
Le choix d’exposer Bresson auprès de ces représentations de conquêtes coloniales ajoute une couche d’ambiguïté. Le face-à-face entre les batailles historiques et les affrontements contemporains mélange les scandales et confond les responsabilités. Quoiqu’on pense de la maladresse ou non de tableaux de jeunesse d’un artiste indépendant, sa liberté de représenter un sentiment de puissance ne se fond dans aucune gémellité avec la peinture comme instrument de pouvoir et de flatterie des puissants. La puissance est une notion polysémique et, dans ce cas, profondément dissonante. Car la peinture figurative grandiloquente magnifiant des faits de violence, si elle orne les livres d’histoire, n’est pas l’histoire. Elle en est le contraire, elle est la torsion d’un reflet du réel orienté vers la lecture univoque éludant toute possibilité alternative. Une réduction au nom d’un choix de ceux qui en ont le pouvoir. L’intention était-elle de replacer les violences urbaines françaises dans une histoire plus vaste de conflits et de dominations ? Ou s’agit-il d’un raccourci qui, en juxtaposant ces images, risque de réduire les problématiques postcoloniales à une simple question de désordre social actuel ?
Une ambiguïté constitutive étrangement assumée dans son aspect bancal par les discours et textes entourant la présentation jusqu’à l’absence même de problématique formulée par un titre d’exposition tautologique et qui aurait pu facilement être évitée en choisissant un travail plus radicalement politique. Mais cette ambiguïté n’en annule pas tout l’intérêt. Car s’il nous apparaît certainement une limite à ses tableaux de jeunesse, la pratique de Bresson, ayant heureusement évolué plus vite que le goût du château de Versailles insistant sur ce pan de son travail, a largement dépassé cette facilité flirtant avec un exotisme dont les codes « banlieue » n’excitaient qu’un public n’en ayant connaissance qu’à travers le fantasme.
Sa peinture s’est transformée et les tableaux plus récents heureusement exposés ici parviennent à dépasser le simple effet de décalage sans perdre leur appétence pour la sidération et la plasticité de l’onde de choc. Ses deux panoramas dismorphiques introduisent une temporalité fragmentée, hantée par un goût de l’absence. C’est peut-être sur ce plan purement formel que se joue la confrontation la plus fructueuse avec les monumentales toiles qui les jouxtent, réduisant les sujets à des actions bien ordonnées tandis que déroule derrière eux un paysage libéré et plein de leur histoire. Si l’on peut penser ici à la technologie digitale avec avec l’élaboration de décors de jeux vidéos se présentant, dans leurs ébauches, sous des traits similaires, c’est tout autant la tradition théâtrale et spectaculaire qui ressort, replaçant le fond au premier plan comme machine désirable, terrain de jeu à conquérir par le geste. Si le drame visuel primait auparavant sur une réelle exploration critique du sujet, c’est dorénavant le sujet en tant que situation critique d’un monde qui lui survit qui s’impose.
Le spectacle est ailleurs, en chacun des gestes, inscriptions, mouvements à naître au sein d’épopées dont la discrétion et la frugalité, compte tenu du format des tableaux, renforce le caractère « exceptionnel ». Dans la possibilité du vide, dans le choix du négatif, les ouvertures, interprétations et véritables questionnements affleurent enfin ; sans rien céder de son goût d’envisager les signes contemporains comme autant de motifs classiques, Bresson en fait les véritables acteurs d’une chorégraphie alternative à celle qu’il encourage ses figurants à inventer pour composer son tableau. Le décor devient au final reflet d’un chœur ayant défilé dans l’histoire et posé sur lui les marques de son passage.
Guillaume Bresson, Versailles — Exposition du 21 janvier au 25 mai 2025 — Salles d’Afrique