Jane Evelyn Atwood
Passée la crainte d’une démonstration en force de la pureté du photo-journalisme avant l’ère sensationnaliste, l’émotion s’installe peu à peu et le choc de la distinction du regard de Jane Evelyn Atwood et son talent impérieux s’imposent. La maison européenne de la Photographie suit 35 années du travail de cette Américaine à Paris, et livre en 200 images une rétrospective à couper le souffle.
Jane Evelyn Atwood ne s’est jamais autorisé un seul cliché volé. Un contrat moral scelle chacun de ses reportages dans lesquels elle se promet de nouer de véritables relations avec les sujets photographiés. Ce postulat pourrait sembler surfait, trop simpliste, mais jamais face au résultat il n’est permis de douter de l’intégrité de la démarche, tant la réflexion éthique, voire ontologique, autour de la propriété de l’être est rigoureuse. Les lieux interdits ou peu accessibles des six photo-reportages exposés ; prisons, hôpitaux, maisons de passe, scènes de guerre rendent tous vivace l’interrogation de la journaliste sur la légitimité de sa présence et le droit de capturer des images.
Aussi, une pudeur véritable, une modestie initiatique inondent-elles les épreuves des filles de joie de la rue des Lombards, son premier reportage. Blondine, galante popu, nue et enchaînée dans des positions SM est
immortalisée, bénie par le regard d’Atwood. La série baigne dans le bonheur confiant qu’elle a d’offrir son corps à la photographe. Atwood n’a encore rien publié, elle est encore cet enfant qui regarde pas la serrure, animé par une peur viscérale de la transgression. Ce besoin d’instituer une distance juste fondera en raison toute son œuvre. Retenue authentique qui ne cessera de l’orienter autant que de la protéger de tout voyeurisme.
Son style, évoluant au gré des techniques du siècle, témoigne parfois d’un certain mimétisme. Mais ce qui prime réside ailleurs, sans doute dans les principes idéologiques qu’elle s’impose. Derrière ses premières images, dans les années 70 se devine ainsi la culture photographique de son pays d’origine, les Etats-Unis, qu’elle quitte sans avoir oublié d’observer les épreuves noir et blanc de Gary Winogrand, Harry Callahan ou Walker Evans. Ses yeux parcourent Paris en quête de pureté graphique. Avec son portrait de Jean Genet à la Mutualité en 1977, elle y parvient, après s’être laissée aller à un exercice de style en noir et blanc. Puis, ce classicisme esthétique quelque peu emprunté disparaît progressivement pour faire éclore sa signature à travers la réalisation de reportages d’actualité. La couleur s’introduit dans ses tirages, laissant filtrer la lumière du temps qui passe sur le monde dans un rai plus incarné, plus ressenti. Elle sera ainsi la première à signer un sujet sur le sida, mettant un prénom sur le premier mort d’une vague qui ne faisait que commencer.