Intentions fragiles
Loin de la simple exposition collective prétexte à mettre en valeur les artistes de la galerie, Intentions fragiles impose son regard sur la création actuelle et articule les enjeux d’une posture contemporaine de la création, une manière de jouer, en équilibriste, sur la possibilité même de créer, la pudeur du créateur et la mise à jour de sa fragilité. Rien d’étonnant alors que les jeunes artistes se taillent la part belle de cette véritable exposition proposée par Marie Doyon. Au travers d’une vingtaine de pièces, c’est d’abord la question de l’exposition de l’œuvre qui se dessine. Comment en effet, le monde entre en scène pour laisser sa marque sur la pièce. D’abord avec la Fedex® Kraft Box de Walead Beshty, qui conditionne ses œuvres au format employé par le livreur Fedex, jouant des aléas de son transport pour déterminer le résultat final de son bloc de cuivre, surmonté de la documentation de la firme. Le cas également de Joris Van de Moortel qui, dans son installation bringuebalante, Don’t Forget to Turn Out the Gas, investit l’espace de matériaux précaires, déjà en décomposition. Reflet inversé de ces pièces travaillées par le monde, la chaise poncée de Julie Chaumette, dont la réduction matérielle à sa forme la plus simple impose sa présence de toute la force de sa fragilité. A elle alors de menacer le monde de sa chétive omniprésence. Et la forme essentielle de n’apparaître non plus comme substance inaltérable mais,
précisément, comme la forme la plus proche de l’effacement. Il en va de même dans l’équilibre précaire de la sculpture tubulaire d’Isabelle Ferreira, qui partage une même ambiguïté ; occupant de tout leur être l’espace, elles font de leur fragilité une vertu de décence.
Loin du simple objet, on a affaire ici à la matière reconstruite, menaçant chaque instant de s’effondrer. Rapiécées, recousues grossièrement, les toiles de Jim Lee finissent de fabriquer cet espace en devenir, atelier perpétuel d’une création qui se cherche et qui, même exposée, n’en finit pas de questionner ses effets. Car la fragilité matérielle n’est pas qu’un défaut d’énergie, elle se donne ici comme la possibilité pour l’œuvre d’obtenir une nouvelle forme, une métamorphose par la destruction. Et l’esthétique précaire de devenir une condition de possibilité de la différence, du devenir. Instant suspendu, équilibre ténu, la fragilité n’est pas que matérielle, et les artistes découvrent leurs propres recherches, à l’image d’un François Daireaux, réduisant à la simple malle le projet d’une vie. Ou Ismaïl Bahri, qui au long de sa très belle vidéo, subordonne sa lente progression à l’exécution d’une contrainte invisible en premier lieu et contraire à toute efficacité. Dans un monde où le fragile a perdu son « intérêt » face à la « solution », face à « la valeur pragmatique », Intentions fragiles, en touchant une marque vivace de la création contemporaine, renoue avec cette passionnante vertu de l’art ; l’incertitude de la recherche.